8 000 manifestants selon la police. 40 000 selon la CGT. Cinq fois plus… Tels sont les chiffres que les médias, dont Radio France, ont diffusé à l’issue de la manifestation du 16 novembre contre les « réformes Macron ». Avec un tel écart, qui croire réellement ? Une quinzaine de « grands » médias ont décidé de réagir…

Ecoutez Erik kervellec au micro du Médiateur des antennes

Vous êtes nombreux à écrire au médiateur pour vous étonner de chiffres aussi fantaisistes : « De tels écarts devraient imposer une vérification de la part des journalistes. On est dans la manipulation et la fausse information », nous dit Cédric. Et Sophie ajoute : « Évidemment, vous ne voulez pas vous mouiller et vous vous contentez de donner les chiffres des syndicats et ceux de la police ». Il est vrai que, depuis quelques temps, les organisateurs de manifestations syndicales ou politiques ont pris la fâcheuse habitude de gonfler démesurément le nombre de participants. Lors du rassemblement Fillon au Trocadéro en mars dernier, le candidat LR annonçait 200 000 participants; pourtant, l’endroit ne peut accueillir que… 40 000 personnes.

Des capteurs pour un comptage fiable

Face à de tels écarts, devenus ridicules, une quinzaine de médias ont décidé de trouver ensemble une solution fiable. L’initiative a été lancée par Jean-Marc Four, directeur de la rédaction de France Inter. Une petite société spécialisée dans le comptage de foule lors de manifestations commerciales ou culturelles a été contactée. De nombreux tests ont déjà été effectués lors des dernières manifestations syndicales, avec de nombreuses vérifications. Il s’agit de ne pas se voir reprocher un manque de fiabilité.

Le système est simple. Il s’appuie sur une technologie française. Deux capteurs électroniques sont installés en hauteur au-dessus du défilé. Ils forment une ligne virtuelle qui traverse trottoirs et chaussée. Chaque manifestant est donc automatiquement comptabilisé.

La machine imaginée par la société Occurrence pour compter les manifestants © Radio France / Laurent Kramer

La machine imaginée par la société Occurrence pour compter les manifestants © Radio France / Laurent Kramer

Des chiffres gonflés par les organisateurs

Le dernier test a concerné le défilé du 16 novembre. Verdict : 8.250 manifestants. Un chiffre proche de celui de la police. Ce qui n’est pas très étonnant. Déjà il y a quelques années, Médiapart racontait que des médias avaient voulu s’assurer par eux-mêmes la véracité des chiffres lors d’une manifestation à propos des retraites : « Les chiffres étaient bien en deçà du comptage syndical et proches de ceux du corps policier ». Et d’ajouter : « Pour peser, exister dans l’espace public et médiatique, les syndicats ont peu de moyens et ne se privent donc pas de gonfler les chiffres, au risque de perdre leur crédibilité ».

Après les « Manifs pour tous » dont le nombre de participants variait de un à huit, une étude a également été menée par trois personnalités indépendantes : Dominique Schnapper, ancienne membre du Conseil constitutionnel et directrice de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Pierre Muller, inspecteur général de l’Insee, et Daniel Gaxie, professeur de science politique à Paris-I-Panthéon-Sorbonne.

Lutter contre une forme de désinformation

Le résultat de leur étude, publié en 2015, était sans appel : le comptage réalisé par la police est fiable, même s’il reste empirique. Des fonctionnaires se positionnent en hauteur sur le parcours du défilé et, à l’aide d’un compteur manuel, enregistre chaque passage de dix manifestants. Le chiffre est arrondi à la hausse pour tenir compte d’une marge d’erreur, puis transmis aux médias. Les experts ont mené eux-mêmes leur propre comptage et sont arrivés à des chiffres proches, mais un peu inférieurs, à ceux de la police.

Désormais, les rédactions de Radio France vont pouvoir transmettre aux auditeurs des chiffres fiables, sans influence syndicale, politique ou gouvernementale. Nous pourrons ainsi répondre à la critique formulée par de nombreux auditeurs, dont Julien : « Comment pouvez-vous être crédibles en diffusant des chiffres hyper gonflés qui confinent à de la désinformation et aux fake news ? ». Notre rôle est en effet de pouvoir donner des informations exactes et vérifiées.

Bruno DENAES.