Réunis à Paris, les médiateurs des Médias Francophones Publics se penchent sur l’avenir de l’information et de la médiation

 

Il est toujours enrichissant d’échanger des expériences et de confronter des difficultés ou des solutions. C’est pour cette raison que, pour la seconde fois, les médiateurs des Médias Francophones Publics (MFP) se sont réunis à Paris. Les ateliers, les conférences, les échanges se sont tenus au siège de TV5 Monde, sous la présidence du médiateur de Radio France.

Les médiateurs canadien, belge, suisse et français ont, dans un premier temps, constaté qu’ils étaient tous confrontés à des groupes d’auditeurs et de téléspectateurs qui doutent des informations de nos antennes (alors que nous offrons les mieux vérifiées et les plus « sourcées »), aux « militants » qui voudraient n’entendre que leurs opinions, mais aussi aux auditeurs et téléspectateurs qui voudraient écouter les arguments des invités sans qu’ils soient coupés en permanence et que les journalistes cherchent à se mettre en valeur…

Heureusement, beaucoup de réactions ou de questions permettent d’améliorer la qualité de nos radios, de nos sites et de nos télévisions.

Les médiateurs plus ou moins écoutés selon leur société

D’une manière générale, les médiateurs estiment ne pas toujours être considérés par leur société comme pouvant participer à une réflexion stratégique. À Radio France, les lettres internes reprenant les messages les plus pertinents des auditeurs et internautes sont très attendues par les directions et les équipes d’antenne. Mais d’autres médiateurs sont complètement ignorés par leurs directions, ou ne sont pas considérés plus qu’une « obligation » dans le cahier des charges. Cela dit, majoritairement, les médiateurs regrettent que leurs remarques et leurs alertes issues des messages des auditeurs et des internautes ne soient pas mieux pris en compte par les directions. Or, ces « tendances » sont bien souvent « validées » quelque temps plus tard par une enquête ou un sondage…

À propos des « fake news », les médiateurs estiment que cela ne devrait pas nous concerner, puisque nos journalistes sont des professionnels respectueux de l’éthique (infos vérifiées, sourcées…). En revanche, l’afflux d’informations, notamment par les réseaux sociaux, nécessite beaucoup plus de temps passé à vérifier et ce au détriment de la production d’informations ou de reportages.

 

Plusieurs spécialistes ont répondu aux médiateurs

Comment travailler avec les réseaux sociaux ? La crédibilité de l’information. Un futur Conseil de presse en France ? Les médiateurs sont confrontés à de nombreuses questions ou à des évolutions. Plusieurs invités, spécialistes, sont venus répondre à leurs questions par l’intermédiaire de tables rondes et de conférences :

  • Les réseaux sociaux et la médiation (Christelle Macé, responsable Marketing digital à la Direction du numérique de Radio France).

Nous nous interrogeons tous sur cette relation parfois difficile à suivre et à maitriser, mais incontournable si nous ne voulons pas nous couper des plus jeunes ou des milieux professionnels « très tweets » (absents de nos messages par mail). Il nous faut travailler avec les « community managers » des chaines, afin que l’information des réseaux remonte aux médiateurs. À Radio France, le médiateur a la chance de disposer d’une « community manager » et nous allons essayer de mettre en place un réseau avec tous ses homologues des différentes antennes.

 

  • La diversité, le sexisme : attentes et réactions des auditeurs (Bérénice Ravache, présidente du Comité diversité et directrice de FIP, Jeanne Billau, responsable études à la Direction des études de Radio France)

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Jeanne Billau et Bérénice Ravache nous ont présenté l’étude IPSOS commandée par le Comité Diversité et la Direction des études à propos de la façon dont les auditeurs ressentaient la diversité sous toutes ses formes sur les antennes de Radio France. Conclusions intéressantes et très satisfaisantes. À noter qu’il y a similitude entre certaines remarques d’auditeurs et des résultats de l’enquête, notamment sur le traitement quasi inexistant du sport féminin et du handicap. Bérénice Ravache a insisté sur l’importance de l’écoute des auditeurs. Elle a ainsi présenté le travail effectué en commun avec le médiateur, notamment les réunions « pédagogiques » menées sur le « sexisme ordinaire » auprès des équipes d’antenne et la plaquette sortie à l’occasion de la Journée internationale des Droits des femmes à partir des remarques d’auditeurs.

 

  • La problématique des « fake news » (Georges Lauwerys (RTBF) et Pierre Haski (RSF)

Faky, l’agrégateur de sites de vérification des informations imaginé par la RTBF et en cours de développement, semble très prometteur et sera certainement un outil indispensable.

Les réflexions de Pierre Haski nous ont tous interpellés, tant elles sont proches de notre quotidien. Ainsi, une partie du public qui n’a envie d’entendre que « sa » vérité et refuse les informations vérifiées et « sourcées » des journalistes : ce sont les « bons clients » des fausses informations, de la propagande extrémiste… Les exemples récents : le Brexit, les campagnes anti-vaccinations ou l’élection de Trump. La solution à laquelle nous adhérons tous : l’éducation aux médias doit continuer de se développer.

 

  • La perte de crédibilité des médias (Serge Schick, directeur du Marketing stratégique et du développement de Radio France)

Serge Schick a compilé de nombreuses études qui permettent de comprendre cette méfiance à l’égard des médias. Il y a notamment le fait que les « médias professionnels », ceux qui emploient des journalistes dont le principe éthique est de vérifier les informations, pâtissent du manque de confiance – compréhensible – dans les réseaux sociaux. Certains auditeurs ou téléspectateurs mélangent tout : informations fiables et fausses informations. Cette situation affecte tous les médias, alors que les radios et les télévisions de service public, par exemple, indépendantes de tout pouvoir politique ou économique, ne transmettent que des informations fiables. Il faudrait le faire plus savoir ; les médiateurs, par les explications qu’ils donnent au public de leurs antennes, y contribuent. De même que les services d’enquêtes ou d’investigations, meilleurs exemples de l’indépendance de leur média.

kANTAR/LA CROIX

 

  • La médiation et les conseils de presse (Patrick Eveno, président de l’Observation de Déontologie de l’Information, et Muriel Hanot, secrétaire générale du Conseil de déontologie journalistique de Belgique)

L’idée d’un conseil de presse ressurgit en France, alors que cette instance existe dans une vingtaine de pays, comme la Belgique, le Canada ou la Suisse. Patrick Eveno nous a présenté ce que pourrait être une telle instance dans l’analyse de « plaintes » concernant l’éthique et la déontologie. Elle pourrait constituer une forme d’ « appel » après avoir sollicité le médiateur. Il ne serait en aucune façon un « tribunal populaire des journalistes », comme le souhaitent les extrêmes français.

Muriel Hanot a expliqué le fonctionnement très fluide du conseil belge. Il a désormais 10 ans et répond à un véritable besoin.

 

  • Les algorithmes, l’intelligence artificielle et l’information (Marina Pavlovic (Pôle médias HEC Montréal)

L’intelligence artificielle qui ne cesse de se développer peut sembler effrayante par les exemples de falsifications de l’information que Marina Pavlovic nous a présentés. Tel ce discours de Barak Obama, modifié et crédible, notamment grâce au mouvement de ses lèvres totalement réajusté. Entre de mauvaises mains propagandistes, c’est une catastrophe pour la vérité des paroles et des faits. Mais les algorithmes peuvent aussi permettre de détecter les fausses images, les fausses déclarations, etc.

 

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©Radio France/Christophe Abramowitz

Cette crédibilité est vraiment le garant du professionnalisme de nos médias. Ce qui fait la différence avec la plupart des informations qui circulent sur les réseaux sociaux… Il y a un peu plus de deux ans, franceinfo lançait cette agence chargée de centraliser et de vérifier toutes les informations transmises à l’antenne et sur internet. Elle offre une extrême fiabilité dans les informations diffusées. Elle n’a pour l’instant pas d’équivalent en France et peu dans le monde. Franceinfo est précurseur dans une nouvelle forme de journalisme qu’est le journalisme de « certification ».

 

Bernard Cerquiglini ©Radio France/Catherine Cadic

Bernard Cerquiglini ©Radio France/Catherine Cadic

Tous les médiateurs sont confrontés à de nombreux messages d’auditeurs concernant le bon usage de la langue française. Certaines remarques sont pleinement justifiées et nous nous en faisons le relai auprès des antennes. D’autres sont issues de puristes, qui refusent l’évolution de la langue, sa féminisation… Avec sa longue expérience, sa passion, son humour et son franc-parler, Bernard Cerquiglini nous a enthousiasmés. Lui qui a participé à de nombreuses réformes nous a confirmé que « la langue passionne et divise ». Elle représente aussi une forme de pouvoir. La francophonie est une notion importante à défendre aujourd’hui ; encore faut-il qu’à l’image du Québec, la France soit plus réactive et propose de nouveaux mots avant que des anglicismes s’imposent. « Ce sont désormais les médias, nous dit Bernard Cerquiglini, qui sont prescripteurs en matière de langue et non plus l’Académie française ou l’école ». Et il propose qu’on remplace « fake news » par « infox ». Excellente idée, mais ce n’est pas gagné…

 

Bruno DENAES

Médiateur des antennes de Radio France

Président de la Commission Médiation des Médias Francophones Publiques