Toujours aussi instructif et révélateur de dérives, le rapport 2016 de l’Observatoire de Déontologie de l’Information vient d’être présenté aux 10èmes Assises du journalisme, à Tours. Un rapport que tous les professionnels de l’information devraient lire, de même que tous les auditeurs. Ces derniers y découvriraient les contraintes auxquelles nous sommes confrontés. Et les journalistes les erreurs, voire les fautes qu’ils commettent…

L’ODI souligne tout d’abord l’immixtion importante, en 2016, de « la sphère politique dans la question du traitement de l’information à travers plusieurs projets et propositions de lois ou via des amendements ». Et Patrick Eveno, le président de l’observatoire, s’inquiète : « L’équilibre toujours fragile entre la liberté d’informer et la répression des abus de cette liberté s’en trouve menacé ».

Un contrôle accru par la loi et d’un autre temps

Le Parlement a, par exemple, enjoint le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) de rédiger « un code de bonne conduite relatif à la couverture audiovisuelle d’actes terroristes ».

Pour l’ODI, « cette vaine obligation à laquelle le CSA a été contraint de se plier est bien dans l’air du temps politique, qui est de répondre aux émotions de la population par plus de contraintes juridiques. L’arsenal législatif ainsi déployé confie toujours plus de missions au CSA, dans le but de contrôler ou d’encadrer la liberté d’expression et le droit d’informer le public ».

Et puis, il y a ces contraintes de plus en plus pointilleuses imposées par la loi et contrôlées par le CSA en cette période électorale. Des contraintes qui ne s’appliquent qu’aux médias audiovisuels et non à la presse écrite et multimédia. Or, nous sommes dans l’ère du média global. A Radio France, par exemple, les journalistes peuvent assurer leurs responsabilités éditoriales, comme des professionnels sérieux et libres, sur les sites des antennes et sur les réseaux sociaux, mais pas à la radio. Sur les ondes, les journalistes se transforment en comptable obligé des temps de parole et, depuis cette année, des temps d’antenne.

Comme le souligne l’ODI, « Cette surveillance et cet encadrement de l’audiovisuel sont un reliquat du passé qui repose sur deux idées fausses. D’une part, l’impérieuse nécessité d’équilibrer la ligne éditoriale des médias écrits en encadrant, voire surveillant de plus près, les contenus audiovisuels. D’autre part, le pouvoir majeur d’influence de la télévision sur les choix des électeurs. Or la télévision ne fait pas l’élection : ainsi, en 1981, les médias favorables au pouvoir en place depuis des décennies n’ont pas fait obstacle à l’élection de François Mitterrand ; autre exemple, en 2002, l’ostracisme médiatique dont s’estimait victime Jean-Marie Le Pen ne l’a pas empêché de se qualifier pour le deuxième tour ».

Enfin, il y a ces interdictions d’accès au siège d’un parti ou à un meeting prononcées par certains responsables politiques à l’encontre de journalistes qui ne leur « plaisent pas ». Il y a également tous ces accommodements avec la vérité, devenus communs pour certains politiciens, et auxquels sont confrontés les journalistes.
Des mensonges que les auditeurs, adeptes des réseaux sociaux propagandistes, préfèrent croire plutôt que les informations vérifiées et sourcé

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Les recommandations de l’ODI dans le rapport 2016

  • Une urgence : retisser les liens qui unissent les médias à la société
  • Une exigence : politiques et pouvoirs publics doivent garantir aux journalistes le libre exercice de leur profession
  • Une affirmation : le journalisme professionnel est une composante essentielle de la société démocratique
  • Une attitude : réaffirmer le respect des faits contre les mensonges, les manipulations et autres propagandes toxique

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Confusion des faits et des commentaires

Mais cette réalité conduit aussi à des dérives journalistiques, constate l’ODI : « Dans le débat permanent entre tous et sur tout, entretenu par l’information continue et les réseaux sociaux, des journalistes en arrivent à perdre de vue leur raison d’être : la recherche désintéressée de la vérité. Un journalisme d’assertion se développe à côté – à la place ? – du journalisme de vérification. De plus en plus, l’ODI relève à la radio et à la télévision un glissement de la présentation des informations et du questionnement factuel des invités à l’expression d’opinions ou de commentaires. De simple observateur ou de passeur de parole, certains deviennent, sans toujours s’en rendre compte, débatteurs et éditorialistes et posent comme un fait établi ce qui n’est que leur propre conviction ou une allégation dans l’air du temps ».

Le rapport cite quelques exemples dans des informations présentées, souvent involontairement, de manières subjectives : « L’écart entre les deux candidats s’est dangereusement réduit… », « Le Royaume-Uni pourra alors retrouver sa souveraineté », « C’est bien connu, pour qu’une grève soit réussie, elle doit être lancée au plus mauvais moment pour les usagers ». Ce qui est possible dans un éditorial ne l’est pas dans un journal…

 

Les infos « trop belles », mais fausses

Sans compter l’emballement médiatique qui provoque des défauts de vérifications sérieuses ou une absence de doutes sur des informations « trop belles » : une primatologue de renommée internationale réduite à l’aide sociale sur ses vieux jours (une partie de son CV était pure invention), un responsable des Restos du Cœur poignardé (il avait inventé l’agression), l’interview du faux avocat de l’auteur de l’attentat de Nice, etc.

Dans le rapport de l’ODI, on retrouve un certain nombre de remarques que nous font nos auditeurs, comme, par exemple, à propos du sexisme : les femmes politiques appelées par leur prénom, les expertes peu nombreuses à l’antenne ou cette formule : « Une voiture ancienne, c’est comme une jolie fille, il faut la séduire », etc. Et puis rappel aux journalistes : « La théorie du genre n’existe pas ; ce qui existe ce sont les études de genre ».

Ce document avec ses centaines d’exemples et ses analyses nous apprend beaucoup, autant sur les difficultés actuelles des journalistes d’exercer au mieux leur travail d’information honnête et vérifiée que sur leur environnement politique et économique, prompt à brider la liberté de la presse, un des fondements de notre démocratie. Enfin, il permet aux journalistes de réfléchir à leurs pratiques et d’éviter des dérives professionnelles, préjudiciables à leur crédibilité.
Bruno DENAES.

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La mission de l’ODI

L’Observatoire de la Déontologie de l’Information est une association tripartite regroupant :

  • Les associations et syndicats de journalistes professionnels
  • Les entreprises et syndicats d’entreprises de médias
  • Les associations représentant le public

L’ODI effectue une « veille permanente » en matière de déontologie journalistique, interroge les pratiques professionnelles, dégage des tendances sur la durée, et rend publiques ses observations. Il veut contribuer à la prise de conscience de l’importance de la déontologie dans la collecte, la mise en forme et la diffusion de l’information au public.

Radio France est membre de l’ODI. Son médiateur des antennes en est son représentant et siège au Conseil d’Administration, présidé par l’universitaire et spécialiste des médias, Patrick Eveno.

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