La consommation des médias est en hausse, mais on leur fait moins confiance. Faut-il dénoncer les réseaux sociaux ou les adapter à un bon usage de l’information ?  Serge Schick, directeur du Marketing stratégique et du Développement de Radio France, s’interroge sur l’évolution des médias…

« Plusieurs études, parues au cours des derniers mois, soulignent deux tendances contradictoires de l’année 2017. D’un côté, une hausse de la consommation des médias (entre télévision, radio et supports digitaux, les Français vont leur consacrer quotidiennement plus de 10 heures). De l’autre, une baisse de la confiance qu’ils leur octroient… Même si la radio résiste mieux, la perte est nette. L’espoir de voir une société rendue transparente grâce aux lanceurs d’alerte est devenu une utopie. Considérés, hier, comme un agent de l’alchimie démocratique, les réseaux sociaux sont désignés comme les propagateurs de la démagogie.

L’Homme global

Le rapport entre les individus et le monde qui les entoure s’est complexifié. Contrairement à ses ancêtres: « l’Homme des villages », informé sur le mode oral, puis « l’Homme des villes », informé par l’écrit, « l’Homme global » prend connaissance en temps réel et par bribes d’une masse considérable d’événements. Le rôle des médias tient de l’équilibrisme. En relatant et en expliquant, ils aident à une meilleure compréhension. Mais en décrivant un paysage plus anxiogène que jubilatoire, en surexposant à l’envie les faits principaux du jour, en les théâtralisant parfois à l’excès, le processus d’information engendre l’inquiétude. Guère étonnant dès lors que les médias soient en partie rejetés, par réflexe de sauvegarde.

Ce désamour relève aussi d’un phénomène de transfert. Les reproches que les Européens adressent aux médias, superstructure exposée et visible, sont ceux dont ils accablent le système politique. Intermédiaires entre les décideurs et le peuple, taxés d’élitisme, jugés non représentatifs, les journalistes focalisent les critiques. Malmené par la colère issue de la crise qui fragilise les structures de dialogue, secoué par le populisme, le modèle de la représentation, vertical, doit désormais faire face au monde digital, horizontal, qui rend la médiation plus difficile que jamais.

La mécanique des fluides

étude Médiamétrie

étude Médiamétrie

Sous l’effet des réseaux sociaux, le fleuve de l’actualité échappe à la topologie traditionnelle. Blagues, fakes, alertes, pétitions, réseaux sociaux aux audiences et aux fonctionnalités incroyablement puissantes… ce gigantesque écosystème d’échanges, véritable infrastructure psycho-sociale pour les nouvelles générations, change la donne. Le numérique n’a pas fait passer la société de l’état solide à l’état liquide, mais il a accentué la mécanique des fluides. L’information linéaire, des journaux, chaines d’information et sondages a tremblé avec le Brexit, Donald Trump et la victoire aux primaires de François Fillon. Elle a dû faire face aux déferlements de l’information « sourcée » des réseaux sociaux, démultipliée par les moteurs de recherche et accélérée par Facebook ou YouTube. Les deux univers, l’un vertical, rationnalisé et réflexif, l’autre horizontal, spontané et intuitif, pourtant condamnés à vivre ensemble, continuent de s’entrechoquer.

Quand les médias d’information créent leur compte Twitter et Facebook, les plus entreprenants tentent d’adapter leurs contenus aux caractéristiques propres des différents réseaux pour conquérir des publics nouveaux, en adaptant leur forme ou en créant des formats spécifiques. L’opportunité de conquête de publics nouveaux est exceptionnelle! La plupart des patrons de médias considèrent que leurs marques n’ont jamais disposé « d’audiences » comparables. Mais cela suffit-il?

Les rumeurs de la campagne présidentielle (Captures d'écran)

Les rumeurs de la campagne présidentielle (Captures d’écran)

Le monde tel qu’il est

Devant la prise de position ambigüe des plateformes comme Youtube et Facebook qui laissent publier des contenus indésirables en s’abritant derrière le 1er amendement, les médias, notamment de service public, n’ont pas d’autre choix que de renforcer leur verticalité. En poursuivant leur travail sur leurs formats d’expression traditionnels ; en proposant des offres numériques structurées répondant à leurs missions premières, ils doivent demeurer solides comme des rocs ! Garantir la véracité des faits. Etre les meilleurs dans la hiérarchisation mais aussi dans la diversité des sujets traités. Enquêter sans cesse. Et assurer leur rôle de médiation, compte tenu de la défiance qui s’est installée dans l’opinion publique. Pour retrouver son adhésion, ils devront aussi s’efforcer de représenter le monde d’une manière quelque peu différente. Non pas le monde idéal qui n’existe pas. Non pas le monde du pire, qui n’est jamais certain. Non pas le monde du prêt à penser, dont les citoyens ne veulent plus. Mais le monde tel qu’il est, dans toute sa diversité.

Ils doivent aussi accomplir leur mue en s’appropriant avec une vigueur renouvelée les nouveaux réseaux de production et de diffusion de l’information. Pas par effet de mode. Non seulement par instinct de conservation. Mais par choix et par goût. Un immense défi les attend : devenir des acteurs pointus et pertinents dans le décryptage de ce qui se produit sur ces carrefours multiformes. Repérer ce qui s’y dit. Identifier les sujets, les idées, les tendances qui se dessinent, les activistes ou groupes de pression. Analyser la stratégie, l’idéologie, l’expansion économique de ces nouveaux acteurs qui façonnent une partie du monde… Autant d’angles d’attaque! Il n’y pas de bon journalisme sans journalisme de terrain, apprend-on dans les écoles. Le terrain, aujourd’hui, c’est aussi celui des réseaux sociaux. Les médias doivent s’en emparer comme un terrain de lutte contre les nouvelles formes d’obscurantisme, mais aussi comme d’un terrain privilégié, de réflexion, d’observation et d’action. »

Serge SCHICK.