Bonjour ce matin j'ai failli vomir en entendant Catherine Millet sur votre antenne, ça m'a pris en traître, d'ordinaire j'écoute France Inter en tout confort gastrique.
Elle expliquait avec des arguments éculés que le mouvement de protestation contre les violences sexuelles faites aux femmes favorisait le retour du puritanisme. Elle banalise les tripotages de transports en commun, la drague insultante dans la rue qui se transforme en menaces voire en violences si le type n'a pas la réponse qu'il veut, la pression exercée par des supérieurs hiérarchiques au travail pour obtenir des faveurs sexuelles, le forçage subies par tant de femmes avant un rapport sexuel. Elle utilise les mêmes mots que les violeurs pour nier leur crime, elle dit que quand une femme dit non, en fait ça veut dire oui. C'est vraiment affligeant d'entendre de telles inepties de la part d'une soi-disant intellectuelle. Quelle honte de réchauffer comme ça des vieux clichés machistes.
L'émergence de la révolte contre les violences sexuelles correspond à la chute d'un tabou, n'importe quel artiste progressiste s'en rend compte. Comment peut-on dévaloriser ce mouvement et agiter le chiffon de la guerre des sexes alors que plus de 100 femmes meurent sous les coups de leur conjoint chaque année, que les femmes sont payées 20% de moins que les hommes à travail égal, qu'elles continuent à se fader 70% des taches ménagères et de l'éducation des enfants en plus de leur journée de boulot, qu'elles sont confrontées au plafond de verre pour les postes à pouvoir dans le monde du travail etc… Elles sont majoritaires dans la population mais traitées comme une minorité opprimée. Catherine Millet dit qu'on devrait pouvoir continuer à se comporter en prédateur avec les filles et les femmes sous le prétexte de la séduction. Les propos dégradants sur la taille de la poitrine, la forme des fesses, la culotte ou le soutien gorge devraient continuer à être considérés comme normaux ; les insultes à caractère sexuel (salope, pute, suçeuse, tailleuse…) devraient pouvoir continuer à être proférées en toute impunité? Et si on fait pareil sur les noirs? il y a peu nous avons assisté à une levée de bouclier car un flic avait banalisé le terme "bamboula". C'est pareil pour les femmes. Et si on fait pareil pour les juifs? imaginez un écrivain interviewé qui affirme que "youpin" ou "youtre" c'est pas si grave. Un dernier exemple : on fait pareil avec les homosexuels. Que fait un homo qui s'entend qualifier de "tafiole" ou "pedzouille"? il porte plainte et on lui donne raison. On ne lui répondra pas qu'il nous fatigue avec son puritanisme, on lui dira vous avez été victime d'homophobie. Et ça c'est un progrès de civilisation.
Pour mon grand père, "bamboula" et "youpin" ce n'était pas choquant. Oui mais voilà les temps changent, mon grand père était né en 1919. Depuis on a progressé, le racisme, l'anti-sémitisme et l'homophobie sont condamnables. Pour le sexisme on est encore à la traîne mais on va y arriver, même si des individus réactionnaires comme Mme Millet poussent des cris d'orfraie sur les ondes et dans les colonnes du Monde.
Quand on pense à la déplorable condition des femmes dans tant de pays pauvres, réduites en esclavage domestique et sexuel, considérées comme des êtres mineurs et inférieurs, prisonnières d'un destin misérable, comment peut-on encore récriminer contre un changement du rapport de force dans son propre pays? Il faut vraiment manquer de culture historique pour ignorer que les femmes constituent un groupe dominé depuis que le monde est monde. En tant qu'intellectuel, on devrait se réjouir que les lignes bougent un peu, que les opprimés se soulèvent. Mme Millet a des propos en lien avec son âge et avec sa classe : elle n'est pas concernée par le harcèlement de rue, ni par le harcèlement au travail, elle est économiquement indépendante, elle vit dans un monde feutré et protégé. Mais elle ne pense pas à toutes les filles et à toutes les femmes qui subissent la précarité économique, le poids des traditions et de la religion, la vie dans les quartiers violents, la concupiscence de jeunes garçons qui confondent pornographie et réalité. Ses sornettes sur les victimes de viol qui ont surmonté leur traumatisme et en sont sorties grandies sont révoltantes, est-ce qu'on irait dire qu'une victime de terrorisme est contente d'avoir vécu un attentat car elle a pu s'en sortir? Un traumatisme n'est jamais positif, on ne peut le souhaiter à personne même si le mécanisme de la résilience a fait qu'on a pu s'adapter par la suite. Un traumatisme ça laisse des séquelles un point c'est tout.
Qu'est-ce qui leur prend aux femmes signataires de la pétition dans Le Monde? C'est le syndrome de Stockolm ou quoi? L'identification à l'agresseur?
J'espère vraiment que France Inter va poursuivre le débat sur les violences faites aux femmes.
Cécile Pinna
pédopsychiatre