Ayant été choquée par l’un de vos programmes diffusés sur le Mouv le jeudi 3 novembre dernier au matin, j’ai aussitôt posté un commentaire sur le site de Radio France, mais n’ai eu à ce jour aucun retour. Aussi décidé-je aujourd’hui de vous faire en faire part.

Écoutant par hasard le "tuto du jeudi" de Gianni Fassetta le 3 novembre dernier dans ma voiture en allant travailler dans le lycée où je suis professeur de français, j'ai été sidérée par ce que j'ai entendu : https://www.mouv.fr/emissions/gianni-time/comment-faire-un-bon-professeur.

Habituée aux blagues plus ou moins drôles et plus ou moins bien senties sur les profs et leur vie idéale faite de vacances-grève-congé-maladie, je ne m'en offusque plus et participe même parfois moi aussi à l'hilarité générale lorsque le portrait est assez juste et la plaisanterie amusante. Parce que oui, souvent, les animateurs réussissent à être amusants dans la caricature, voire spirituels. Je ne dédaigne pas moi-même une certaine forme d'auto-dérision sur mon métier, ma vie si facile, mon quotidien de rêve, mes vacances interminables et mes commandes à la CAMIF.

Bref, ce qui m'a littéralement coupé le souffle ce jeudi 3 novembre à 7h36, c'est la violence gratuite et la vulgarité des propos tenus à l'encontre des profs, dans un texte qui se voulait certainement drôle mais qui était juste affligeant de banalité (vacances, grèves, arrêt maladie, ok on a compris!) et particulièrement insultant. On était au-delà de la caricature, sur un ton qui se rapprochait du lynchage et un registre grossier peu adéquat à une radio du groupe Radio France...

Le propos s'adressait bien évidemment aux auditeurs collégiens et lycéens dont c'était la rentrée jeudi, et qui n'ont sans doute pas manqué d'apprécier cette "recette" faite d'"endives", ou de "quiche", de "dindon", de "mollusque" qui présentait le prof comme "quelqu'un de mou, sans saveur, qui ne se reproduit pas et qui pue"Une bonne façon de les inviter au respect de leurs enseignants, dans une période où l'on sait à quel point l'autorité du prof est devenue dérisoire dans certains établissements difficiles (et même partout, dans la mesure où il est devenu de bon ton de "casser du prof", ça fait jamais de mal et puis ils l'ont pas volé, z'ont qu'à travailler, comme tout le monde).

Mais non content de dézinguer encore un peu plus l'image du prof, votre animateur a ensuite sombré dans l'injure la plus crasse, traitant le prof de "bonne grosse merde". Passe encore qu'on le traite de raté au "goût de renfermé", mais on ajoute aux insultes en évoquant une "élève de seconde bien mignonne" qui va plaire au "prof d'EPS", pour finir par lâcher : "au pire, s'il la touche, vous le buterez dans un autre plat". Comment ne pas être écœuré par cet odieux mélange de calomnie et d'incitation à la violence ?

Si je m'insurge aujourd'hui contre un tel billet de pseudo-humour, c'est qu'il joignait l'injure au mauvais goût, flattant platement l'animosité déjà suffisamment aiguë des jeunes vis-à-vis des profs et surfant sur la vague facile du "profbashing" en y ajoutant la vulgarité. Quant au second (voire quatrième!) degré qu'il fallait bien évidemment comprendre dans ce sketch, il n'était précisément pas assez souligné pour atténuer la brutalité des propos et compenser leur impact pernicieux.

Je ne prendrai pas le peine ici de rétablir la vérité sur ce beau métier d'enseignant, que la plupart de mes collègues et moi-même continuons d'exercer avec fierté, conviction et enthousiasme pour former les générations de demain. Alors oui, chaque matin je prends ma "sacoche de 1850", ou plutôt de 1881, date à laquelle Jules Ferry rend l'école obligatoire, laïque et accessible à tous les enfants, pour permettre l'égalité dans l'éducation et la construction d'une culture commune. Donc oui, chaque matin, même malade et toujours fidèle au poste, avec ma sacoche remplie des copies que j'ai corrigées durant le weekend ou les vacances, je vais retrouver mes classes surchargées d'ados déchaînés, pour enrichir leur esprit et exercer leur jugement, ayant à cœur de faire d'entre eux des êtres épanouis et réfléchis.

Enfin, de tels propos diffusés sur votre radio, même se voulant drôles et ironiques, ne sont pas dignes du service public auquel je tiens à rappeler que vous appartenez. Et si je reste convaincue que l'on peut rire de tout, encore faut-il que ce soit drôle... et je suis au regret de vous dire que ce matin-là, ça ne l'était pas.