Emmanuelle Daviet reçoit la directrice de France Culture, Sandrine Treiner.

Emmanuelle Daviet : « A voix nue » est une émission qui ne suscite jamais de critiques. Cette émission c’est un entretien à deux voix qui donne la parole à des artistes, des créateurs, des intellectuels qui livrent leurs réflexions au cours de cinq demi heures diffusées du lundi au vendredi à partir de 20h.
La semaine du 7 septembre, les auditeurs ont pu écouter les confidences du journaliste Edwy Plenel. Un choix qui les a fait réagir.
Voici le message d’une auditrice :

« Cette série d’émissions consacrées à Monsieur Plenel est tout à fait surprenante. Il n’est ni un philosophe, ni un scientifique ni un écrivain éminent. En tant que journaliste il a pris des positions très équivoques et choquantes. »
Pourquoi avoir consacré « A voix nue » à Edwy Plenel ?

Sandrine Treiner : C’est déjà arrivé qu' »A voix nue » suscite des polémiques, notamment lorsque nous avions reçu Jacques Séguéla pendant l’été…

Certes Edwy Plenel n’est pas un philosophe, il n’est pas un scientifique, mais il est un journaliste qui a incontestablement marqué notre temps, qui marque notre temps. Et depuis longtemps, du reste.

Il faut rappeler aux plus jeunes qu’Edwy Plenel a débuté au service police du journal Le Monde. Il a fait tomber un ministre, dans le cadre d’une affaire grave, celle de GreenPeace qui a révélé une autre affaire : l’affaire des Irlandais de Vincennes, un faux monté contre des jeunes gens à l’époque. Et on pourrait continuer comme cela jusqu’à la création de Médiapart. Quoi que l’on pense de l’engagement de ce média – qui du reste ne s’en cache pas -, Médiapart est une des très grandes réussites de la presse, et plus particulièrement de la presse en ligne. Le journal en ligne a aussi participé de la réinvention d’un modèle journalistique et économique. Edwy Plenel méritait donc que l’on s’attarde sur son parcours dans l’émission. On peut discuter de la manière de le faire mais je crois qu’il avait tout à fait sa place dans « A voix nue ».

Par ailleurs, c’est un ancien chroniqueur des Matins de France Culture, présenté alors par Marc Voinchet.

Emmanuelle Daviet : Outre le profil de l’invité ce qui motive ces courriels critiques c’est la date de diffusion de l’émission, message d’un auditeur :
« Est-ce vraiment le moment, en plein procès des attentats de janvier 2015, d’inviter ce personnage qui a tenu des propos tellement scandaleux après la tuerie de Charlie Hebdo ? Est-ce une provocation ou une simple bévue ? »

Sandrine Treiner : Je crois qu’il ne faut pas tout mélanger. En aucun cas, la diffusion de « A voix nue » n’a de rapport avec l’actuelle tenue du procès de Charlie Hebdo. D’ailleurs, il n’est pas question de Charlie et de ce sujet-là dans l’émission. Le procès de Charlie Hebdo est couvert par la rédaction de France Culture par la voix de Florence Sturm dans les journaux. Il a donné lieu à une excellente matinale il y a une quinzaine de jours. C’est un sujet que l’on traite en tant que tel, et les « A voix nue » consacrées à Edwy Plenel ne font pas un écho quelconque à Charlie.

Emmanuelle Daviet : Au-delà de l’invitation faite à Edwy Plenel, pouvez-vous nous indiquer ce qui détermine vos choix pour donner la parole à une personnalité ?

Sandrine Treiner : C’est une question de rencontres. « A voix nue » n’est pas une émission polémique ou de débat d’idées. « A voix nue » s’attarde à la vie et l’oeuvre d’une personne qui a marqué notre temps. Donc c’est une question de rencontres entre les deux voix et la programmation. C’est dans l’équilibre des semaines que se dessine un portrait du temps présent. Et nous veillons à respecter la parité femmes-hommes, et je voudrais remercier Daphné Abgrall qui travaille beaucoup avec moi sur « A voix nue » et qui veille à cela…

Rémi Dybowski-Douat, producteur d' »A voix nue » vous répond :

Pour comprendre, il faut remonter à novembre 2017. Sur fond d’affaire Ramadan, alors mis en examen dans plusieurs affaires de viols et de violences sexuelles, Edwy Plenel est accusé par Charlie Hebdo de « complaisance » envers l’islamologue. S’ensuivra une série d’échanges très vifs entre Riss, le directeur de Charlie Hebdo et Edwy Plenel. L’escalade fut d’autant plus violente qu’elle prend racine dans des divergences histori​ques sur la question de la laïcité. En préparant la rencontre avec Edwy Plénel, cet épisode figurait, comme d’autres, dans ma liste de questions. Mais dans les faits, le duel s’est achevé par des excuses d’Edwy Plenel, écartant selon moi la nécessité d’une clarification sur ce point. De plus, j’ai hiérarchisé mes questions et mes interventions en gardant en tête la nature même de l’émission : « A voix nue » est une émission qui recueille les paroles, les réflexions de celles et ceux qui marquent notre temps. Elle n’est pas une émission de débats d’idées. Ainsi, dans cette émission historique de la chaîne, le souci d’équilibre de France Culture s’écrit-il dans la durée et non à l’intérieur même d’une série d’entretiens. Toutefois, avec le recul et à la lumière des objections de certains auditeurs, je mesure combien la fracture est encore importante sur ces sujets. Ce constat, malheureusement rétrospectif, aurait sans doute dû m’inciter leur donner une place dans cette émission.