La diffusion d’une enquête sur Ségolène Royal dans l’émission Secrets d’Info samedi 16 novembre a fait réagir les auditeurs. Il y était question des activités de l’ancienne ministre de l’environnement et de son utilisation des moyens mis à disposition par le ministère des affaires étrangères. Cette enquête est signée Sylvain Tronchet, journaliste à la Cellule investigation de Radio France.

Dans vos messages : des éloges sur ce travail journalistique, des critiques sur le sujet même de l’enquête, des soupçons, aussi, quant à une éventuelle volonté de déstabiliser une potentielle adversaire d’Emmanuel Macron dans la perspective de l’élection présidentielle de 2022.

Cette enquête a révélé que Ségolène Royal utilisait partiellement ses collaborateurs et une enveloppe de 100 000 euros, financés par le ministère des Affaires étrangères, pour des activités qui semblent très éloignées de sa fonction d’ambassadrice des pôles, fonction qu’elle occupe depuis septembre 2017. Sylvain Tronchet, votre travail a suscité un courrier abondant, avec de nombreux compliments : « Bravo pour votre enquête, ce travail est essentiel en démocratie. » écrit Nadège

Un autre auditeur Jacques écrit : « Avec de telles pratiques cette femme politique illustre contribue, à son niveau, à la défiance des citoyens à l’égard du monde politique. »

L’intérêt d’une enquête sur Ségolène Royal

Ségolène Royal a souhaité répondre à cette enquête sur France Inter le 20 novembre 2019

Une auditrice nous envoie ce message : « Bravo pour votre travail mais pourquoi avez-vous consacré une enquête à Ségolène Royal ? » Que lui répondez-vous ?

Sylvain Tronchet : Nous avons réalisé cette enquête parce que Ségolène Royal est un personnage important du paysage politique français. C’est quelqu’un qui aspire à exercer le pouvoir, d’une façon ou d’une autre. Elle le dit à intervalles réguliers. C’est aussi quelqu’un dont la parole porte : elle est régulièrement invitée dans les médias. Notre travail à la Cellule Investigation, le mien en particulier, s’articule entre deux objets : le financement et l’organisation de l’activité politique. Et puis on travaille aussi sur la cohérence du discours politique : lorsqu’une ou un politique dit une chose, est-ce que ses actes sont en adéquation avec son discours ? Et dans le cas de Ségolène Royal, il me semblait qu’il y avait un sujet d’enquête. Une enquête comme celle-ci prend neuf semaines ; c’est une enquête au long cours. Mais sur ces thématiques, chaque enquête que nous réalisons nourrit la suivante et ainsi de suite.

Pourquoi la diffusez-vous maintenant se demande un auditeur?

Sylvain Tronchet : Il nous fallait du recul, on n’aurait pas pu faire ça six mois après sa nomination en tant qu’ambassadrice des pôles. D’autant que, dans cette enquête, nous nous appuyons aussi sur la fondation de Ségolène Royal. Il nous fallait donc recueillir assez de matière avant de la sortir.

Un autre auditeur s’interroge : « C’est curieux ce genre d’enquête qui n’existe que pour tenter d’écarter toute possibilité de candidature d’une adversaire potentielle à Emmanuel Macron ». Ségolène Royal ne semble en effet pas avoir renoncé à l’activité politique et électorale. Ségolène Royal occupe le terrain. Sylvain Tronchet votre enquête vise-t-elle à discréditer une potentielle candidate pour l’élection 2022 comme semblent le penser des auditeurs ?

Sylvain Tronchet : Ce procès nous est fait à chaque enquête qui vise une personnalité politique, qu’elle soit en train d’exercer le pouvoir et qu’elle vise l’exercice même de ce pouvoir. Ce que nous répondons à la Cellule Investigation, c’est que notre travail parle pour nous : on enquête sur tout le monde, sans exception. Nous avons déjà réalisé, avec Elodie Guéguen, trois enquêtes sur l’accession d’Emmanuel Macron ; nous avons sorti l’affaire des assistants parlementaires du Modem qui a provoqué le départ du gouvernement de François Bayrou, on a travaillé sur le Rassemblement national, ainsi que sur d’autres partis… Je prends donc à témoin les auditeurs : allez sur la page web de Secrets d’info, et constatez par vous-mêmes, toutes nos enquêtes y sont. Notre objectif lorsqu’on enquête, notre seule boussole, est de savoir si les informations révélées ont, ou non, un intérêt public, et notamment de savoir si oui ou non elles font progresser la transparence en matière d’activités politiques.

Une enquête diffamatoire ?

Question d’un internaute : « Bien que n’appréciant guère Ségolène Royal, je me demande quelle est la motivation de cette enquête uniquement à charge et pleine d’animosité ? S’agit-il d’une détestation de Ségolène Royal de la part de Sylvain Tronchet ? Que lui répondez-vous ? »

Sylvain Tronchet : Il n’y a absolument aucun affect dans nos enquêtes. Je pense que si l’on faisait ça, on sortirait des clous de la loi. Et on veille à respecter totalement la liberté de la presse.

« Naufrage en direct pour Ségolène Royal venue se défendre mercredi 20 novembre dans la matinale de France Inter« . L’ancienne ministre de l’Environnement a parlé à votre sujet d’insinuations calomnieuses. Elle envisageait, un temps, de porter plainte.

Parler de questions diffamatoires est un concept tout à fait nouveau, qui propose une extension de sens qu’il faut oser. Que vous inspire cette formule Sylvain Tronchet ? Et comment vous prémunissez-vous d’un éventuel procès en diffamation ?

Sylvain Tronchet : Au-delà de l’exégèse du propos, j’ai du mal à voir comment une question pourrait être diffamatoire. Les questions que nous avons envoyées à Ségolène Royal étaient très simples : certaines d’entre-elles appelaient à une réponse par « oui » ou par « non ». C’est Ségolène Royal qui a choisi de ne pas y répondre. Lorsque nous envoyons ces questions, nous attendons des réponses, réponses que nous publions, et qui peuvent être vérifiées. L’autre point qu’il faut absolument respecter est de savoir si nos informations sont d’intérêt public, qu’il n’y ait aucune animosité dans l’enquête et que celle-ci soit sérieuse. C’est la loi qui le précise. Si tant est qu’un jour nous devions défendre notre enquête en justice, nous pourrons alors démontrer le respect de ces trois points.

Le doit au secret des sources

Ségolène Royal vous accuse de produire des faux témoignages. Y a-t-il des faux témoignages dans votre enquête Sylvain Tronchet ?

Sylvain Tronchet : Il n’y a évidemment aucun faux témoignage. Il y a des témoignages anonymes. Les enquêtes que nous menons s’appuient sur des faits très précis : des documents, des mails, etc. Les témoignages viennent étayer ces sources factuelles et nous assurent que nous ne faisons pas d’erreur d’analyse en collectant ces documents. Nous citons des gens à l’intérieur du système, légitimes à parler, qui nous confirment que ce que nous voyons est avéré. Si on anonymise nos sources, c’est parce que certains témoins – s’ils parlaient à visage découvert – pourraient faire face à des sanctions. Ces gens-là prennent des risques en nous donnant des informations. Et c’est dans notre droit, en tant que journalistes, de ne pas révéler nos sources : c’est ce qu’on nomme en droit « le secret des sources ». Certains témoins, fonctionnaires par exemple, sont soumis à un droit de réserve, une clause de confidentialité, qui les rend responsables devant la loi de ce qu’ils révèlent.

« Don’t shoot the messenger » (Ne vous en prenez pas au messager)

Plusieurs auditeurs ont été indignés que Ségolène Royal vous traite de délateur. Premier message de Fabrice : « Ségolène Royal s’en est pris de manière extrêmement virulente à Sylvain Tronchet faisant basculer, comme d’autres avant elle, la critique des médias dans la dangereuse haine du journalisme. Soutien absolu »

Une auditrice, enseignante en économie et en droit nous écrit : « Mme Royal est prise la main dans le sac par un journaliste sérieux, avec une enquête sérieuse . Sa seule défense est l’attaque sur son travail, en utilisant le mot de « délateur « qui en France est lourd de sens. J’attends son action en justice pour diffamation… Merci aux journalistes de faire ce travail d’investigation, digne du service public. »

Sylvain Tronchet, calomnier les journalistes est devenu une technique communicante pour les acteurs de la vie politique. Cette défiance accusatoire, cette virulence en direct dans la première matinale de France, qu’est-ce que cela vous inspire comme réflexion et qu’est-ce que cela dit de notre époque ?

Sylvain Tronchet : C’est une technique assez vieille. C’est Shakespeare, dans Henri IV, qui écrivait : « don’t shoot the messenger » (ne vous en prenez pas au messager). C’est une pratique des politiques pour éviter de répondre à des questions légitimes. Aujourd’hui, ce qui change peut-être, c’est que les réseaux sociaux confèrent à un certain nombre de gens une dimension assez violente dans ce refus.

Malicina, une auditrice écrit : « J’étais sidérée d’écouter Ségolène Royal ce matin au micro de Léa Salamé et surtout de la manière extrêmement virulente, agressive et dégradante avec laquelle elle s’en est prise à Sylvain Tronchet, « ce journaliste investigateur-délateur » reporter de la cellule « investigation-délation » de Radio France. Qu’elle n’aime pas être critiquée, on peut le comprendre mais être haineuse à l’égard du journalisme, fait le lit des extrêmes, elle est suffisamment intelligente pour le savoir. J’imagine qu’elle a dû harceler la rédaction pour obtenir cette « invitation » au 7-9, mais je ne comprends pas pourquoi avoir cédé et l’avoir laissée tenir ce genre de propos.»

Ce message permet de relever un paradoxe : vous avez sollicité Ségolène Royal à plusieurs reprises pour qu’elle réponde à vos questions, ce qu’elle a refusé mais elle est venu répondre dans la matinale de France Inter ? Pourquoi selon vous ?

Sylvain Tronchet : C’est son droit absolu. Et nous veillons particulièrement à donner la parole à nos enquêté.es. Ségolène Royal a choisi de répondre tard, après la publication de notre enquête et s’en est largement plaint. Si la responsabilité de cette réponse tardive incombe à quelqu’un, c’est à elle seulement.

Des auditeurs font une autre lecture de votre travail en insistant sur le fait que vous n’êtes ni juge, ni procureur. Message de Jackie : « Bien sûr les hommes et femmes politique doivent rendre des comptes sur l’utilisation des fonds et subventions mais j’ai personnellement trouvé cette enquête trop à charge. Les journalistes ne doivent pas se transformer en procureur. »

Une auditrice de Gap écrit : « La radio n’est pas un tribunal. Nos élus méritent mieux que le dénigrement systématique si on veut garder notre démocratie. Je ne suis pas sûre que France Inter gagne beaucoup à devenir Mediapart… »

Sylvain Tronchet : On nous avait fait ce procès-là il y a quelques années, en nous taxant antiparlementaristes. Et, à ce titre-là, d’aucuns considèrent qu’on ne pourrait plus montrer aucun dysfonctionnement quel qu’il soit dans le fonctionnement de l’État. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’à la Cellule investigation de Radio France nous faisons beaucoup d’enquêtes dites « d’initiative » : nous explorons des champs dans lesquels la justice n’est pas présente. Il se trouve que, parfois, elle y est présente après la diffusion de nos enquêtes. De ce point de vue-là, ce que nous faisons ne relève pas du judiciaire, nous ne qualifions pas les faits pénalement. Nous nous attachons simplement à montrer certains dysfonctionnements, à relever certaines interrogations. A chacun, ensuite, de se forger son propre avis.