Ce rendez-vous qui est celui des auditeurs de France Inter. Vous êtes nombreux à m’écrire, à me faire part de vos réflexions sur la matinale, les émissions, les reportages, les invités, ou ce que vous pensez du traitement éditorial de l’actualité.
En cette période de conflits sociaux, le projet de réforme des retraites cristallise la contestation et nous recevons des milliers de courriels à ce sujet.
Courriels que vous pouvez lire sur le site de la médiatrice.
D’autres secteurs du service public s’agrègent à la colère : la SNCF, la santé, et bien sûr Radio France, ce qui nous vaut là encore des milliers de messages.
Et je tiens à dire et c’est pour moi très important : chaque message est lu et même si je ne peux évidemment pas faire une réponse individuelle à chacun d’entre vous votre message peut faire l’objet d’une alerte auprès d’un journaliste, d’une émission et sachez que mon invitée du jour, la directrice de France Inter, est extrêmement attentive à ce que vous écrivez.

La grève à France Inter

Malgré un soutien majoritairement exprimé à la radio publique, des auditeurs ne comprennent pas les raisons de la contestation. Extraits de leurs messages :
« La grève est légitime certes mais on ne sait même pas pourquoi les journalistes sont en grève. II serait peut-être normal qu’ il y ait un service minimum d’information. »
Les explications sont sur le site de la médiatrice dans un article intitulé « Les raisons de la grève à Radio France ». Article qui a contribué à une hausse de 257% du taux de fréquentation du site en novembre, c’est dire l’immense besoin d’informations des auditeurs sur ce qui se passe dans cette Maison dont les voix rythment leur quotidien.

Lundi 2 décembre Nicolas Demorand a tenté dans son billet quotidien de 80 secondes de faire le tour d’une question sensible : « Pourquoi fragiliser les radios publiques ? ». Il a interpellé les auditeurs de France Inter en leur disant : « Ces radios sont vos radios. Elles vous appartiennent. À vous, si vous le souhaitez, de vous saisir de ce débat » et Nicolas Demorand a suggéré aux auditeurs de participer à ce débat en m’écrivant.
Cette proposition a été littéralement interprétée comme LA consigne à suivre pour participer à la sauvegarde des radios publiques.
Il n’y a pas eu de débat mais une unanimité pour défendre un attachement viscéral aux antennes de Radio France et en particulier France Inter.
Laurence Bloch qu’avez vous pensé de cette démarche ?

Laurence Bloch : Au-delà du conflit social qui anime Radio France, il y a un paysage qui questionne le Service Public et qui questionne l’audiovisuel public. L’Etat demande aux sociétés de l’audiovisuel public de faire un effort budgétaire important, c’est 20 millions pour Radio France, 160 millions pour France Télévisions sur trois ans. Ce n’est pas illégitime, car on sait que la ressource publique n’est pas en augmentation et qu’il y a une vraie nécessité à rééquilibrer le budget de l’Etat mais c’est difficile pour chacune des sociétés. Il y a par ailleurs la question de la redevance qui est posée, la pérennité de la ressource. Il y a par ailleurs, un grand projet de réorganisation de l’audiovisuel public, qui la encore n’est pas illégitime parce qu’on voit l’arrivée des plateformes internationales et notamment américaines sur le marché français donc une concurrence frontale, donc le risque de voir l’exception culturelle qui nous est si chère et qui est si importante dans ce pays, extrêmement menacée.
Donc il y a un conflit social à Radio France et un environnement en changement, en révolution, en questionnement. L’appel de Nicolas Demorand est extrêmement intelligent, cette question-là n’est pas seulement l’affaire des professionnels de la profession, c’est pas seulement des professionnels, des journalistes, des producteurs, des techniciens, des réalisateurs, des attachés de production, c’est aussi l’affaire des auditeurs. J’ai trouvé que cet appel était juste, salutaire et inspirant.
Je voudrais à la rentrée 2020, que nous puissions consacrer toute une journée d’antenne, à France Inter sur la question du service public, de son utilité aujourd’hui. Il faut explorer ce qu’apporte le service public à une société fracturée, inquiète, violente, comme l’est aujourd’hui la France. Au bout de cette exploration, beaucoup de choses seront peut-être purgées, beaucoup de choses exprimées…
L’affaire du service public c’est notre affaire à tous et en particulier celle des auditeurs.

Les raisons de la grève

J’ai reçu des centaines, et on peut même parler de milliers, de messages
Beaucoup de soutiens s’expriment mais aussi, bien sûr, des critiques :
« Vous voudrez bien m’expliquer la logique de la grève qui consiste à priver les auditeurs de leur radio. Pour mémoire si vous avez du travail c’est parce que vous avez des auditeurs. »
« Ce que vous faites c’est « punir » celles et ceux qui vous écoutent au quotidien et vous tirer une balle dans le pied. »
Laurence Bloch, que leur répondez-vous ?

Laurence Bloch : Même si pour moi Radio France est une Maison exceptionnelle, c’est aussi une entreprise comme les autres. Comme toutes les entreprises, il lui arrive de traverser des conflits sociaux et c’est le cas en ce moment. Mais je voudrais dire à toutes les auditrices et auditeurs, que chaque salarié gréviste ou non gréviste, est malheureux de ne pas pouvoir exercer son métier.

Beaucoup d’auditeurs ne comprennent pas les modalités de cette grève

Le message de Jacques l’exprime bien :
« La grève à France Inter aussi légitime soit-elle est une vraie roulette russe. Un jour « La bande originale » le lendemain non, « La terre au carré » peut être aujourd’hui, « Par Jupiter » plus du tout , « Boomerang » une fois sur trois.Bref, pouvez-vous nous expliquer le fonctionnement des programmes sous régime gréviste, car /même si j’aime la musique/ la playlist qui tourne en boucle ça va un moment et je suis parti à contre cœur sur une radio privée. »
Autre courriel d’Alain qui écoute France Inter depuis 40 ans. Il nous écrit :
Depuis maintenant plus de 3 semaines, l’ auditeur est soumis à une programmation aléatoire sans aucune explication. Juste une seule et même intervention sous forme de phrase ressassée par tous les animateurs. Ce n’est guère à l’honneur d’une radio qui se dit le chantre du service public. Aucune explication sur le déroulement de la grève, (négociations en cours, évolution du nombre de grévistes, enjeux mêmes de cette grève, pourquoi une émission et pas une autre…). Pourquoi une telle attitude et quel en est le sens ? »

Laurence Bloch : Le message qui passe en boucle sur l’antenne, est un message de grève qui est négocié entre les organisations syndicales et la direction, sur lequel on ne peut pas transiger, cela fait partie des modalités de grève. Cette antenne depuis 4 semaines est un patchwork et ils ont raison. Pourquoi : cette radio est un travail d’artisan et c’est vraiment une marqueterie de métiers. Pour fabriquer une émission, ce n’est pas seulement quelqu’un derrière le micro, c’est un technicien, c’est un réalisateur qui va sculpter le son, qui va donner l’allure de l’émission, ce sont des attachés de production qui vont choisir les invités et leur donner rendez-vous, préparer une documentation, préparer des éléments sonores.

En quoi la radio reste une forme d’artisanat culturel ?

Laurence Bloch : C’est fabriqué maison, par des équipes, chaque équipe a son autonomie, chaque son émission a son autonomie. Ce n’est pas du tout une fabrique en chaîne… Ce sont des petites cellules qui fabriquent des objets à la main du producteur, à la main du réalisateur. Chacun de ces objets a son autonomie, a son allure artistique, a sa personnalité, c’est pour ça que c’est de l’artisanat culturel. Les gens de France Inter sont des artisans « fous »… Ce n’est pas un produit industriel, la radio que l’on fait à France Inter… il y a un savoir faire, une attention, aucune émission ne se ressemble… Nous fabriquons des sculptures sonores.

« J’accuse »de Polanski dans le Masque et la Plume

Les auditeurs ont été très nombreux à nous écrire après l’émission du 24 novembre consacré au film « J’accuse » de Roman Polanski : déception, agacement, colère… Colère car au cours de cette émission on a pu entendre un concert de louanges pour l’artiste et son film et rien sur l’homme, et cette décontextualisation a choqué.
Pour en parler Jérôme Garcin le producteur du Masque et la Plume est au micro de la médiatrice

Jérôme Garcin : Par principe, toutes les réactions sont légitimes, la preuve, je m’exerce chaque dimanche à faire part aux auditeurs de leurs propres réactions y compris quand elles sont violentes pour les critiques ou les œuvres dont on parle. Dans cette affaire Polanski, je suis troublé par la violence des réactions, je pense à celle où certains me disent vouloir cesser d’écouter l’émission en raison du travail que nous avons fait.
Au Masque et la Plume notre travail, depuis près de 65 ans, rassemble des critiques dont le travail consiste à juger les œuvres qui sont présentées.
Dans le cas du « J’accuse » de Polanski, c’est un film qui traite d’une affaire historique particulièrement importante pour notre pays, l’affaire Dreyfus. Et enfin c’est l’oeuvre d’un cinéaste qu’on peut aimer, détester, mais qui est incontournable, qui est Roman Polanski.
Dans cette émission j’ai en préalable tenu à rappeler, l’accusation de viol au moment où sortait le film. Ces journalistes sont des critiques de cinéma et non des journalistes d’investigation. Ils ont jugé une oeuvre. Il se trouve que tous les critiques étaient favorables au film. Au nom de quoi je leur aurais demandé de ne pas exprimer leur avis de critiques et de substituer ce jugement critique à une intervention sur les affaires dont le cinéaste est actuellement la cible.
Je peux comprendre qu’on n’aille pas voir ce film pour des raisons morales et éthiques. Mais je ne vois pas au nom de quoi on empêcherait l’émission de faire son travail de critique…Cela ne correspond pas aux principes du Masque et la Plume, à son fonctionnent, de distinguer les œuvres des hommes.
Je m’efforce de sélectionner moi-même les courriers d’auditeurs.

Que répondre aux auditeurs qui ont dit ne plus vouloir écouter le Masque à la suite de cette émission ?

Jérôme Garcin : La porte est toujours ouverte. Au nom de quoi se priveraient-il d’une émission qui leur est destinée. S’ils veulent suivre l’actualité judiciaire, sociétale, politique, toute l’antenne d’Inter est là pour ça. Il ne faut pas demander aux émissions ce qu’elles n’ont pas à donner. Ce n’est pas de faire un travail qui n’est pas de l’essence même de cette émission.