Décryptage avec Vincent Giret directeur de franceinfo au micro d’Emmanuelle Daviet, médiatrice des antennes de Radio France.

Emmanuelle Daviet : Assassinat de l’enseignant Samuel Paty par un terroriste islamiste le 16 octobre dernier, attentat à la basilique Notre-Dame de Nice jeudi 29 octobre qui a fait 3 victimes au sein de la communauté catholique.
Très rapidement dans les deux cas vous cassez l’antenne pour passer en édition spéciale.
A Franceinfo, sur quels critères repose le choix de basculer en édition spéciale ?

Vincent Giret : L’édition spéciale est notre matière première pour une chaîne d’information en continu et c’est bien naturel. Simplement, à Franceinfo c’est quelque chose qui a été très répété et qui est très organisé. Nous ne cassons pas l’antenne, nous ne passons pas en édition spéciale tant que nous n’avons pas une confirmation d’éléments factuels, décisifs, fiables, prouvés. Il n’y a pas de conditionnel sur notre antenne, il n’y a pas de vérité à 18h21 puis une autre à 18h22 puis une autre à 18h30. Non. Nous cassons l’antenne, que quand nous sommes sûrs des faits dont nous allons parler. Il y a des sources identifiées, perçues comme fiables, qui sont passées par l’agence de Franceinfo qui est notre organe de certification, de vérification de l’information, qui s’appuie sur les différents services. Et ça vaut pour tout type d’information. Là dans le cas d’actualité extrêmement grave, mais aussi pour des sujets politiques, économiques, sociaux, c’est toujours le même processus. On l’a écrit, on l’a répété, c’est très organisé.

Emmanuelle Daviet : On poursuit avec une critique qui a été formulée par de nombreux auditeurs : l’emploi du mot « décapité ».
« Pouvez-vous arrêter d’utiliser le mot « décapité », le remplacer par « assassiné » ? » ; « Manquez vous de vocabulaire pour évoquer un professeur atrocement assassiné ? » ; « Est-il vraiment nécessaire, sur une chaine d’information sérieuse de convoquer les procédés les plus racoleurs pour entretenir l’émotion ? Un peu de décence. »
Pourquoi est-il pertinent d’employer le mot « décapité »?

Vincent Giret : Je comprends tout à fait nos auditeurs, c’est une réalité tellement brutale, tellement violente, qui nous a tous tellement choqué que la première réaction est une réaction de distance, on se demande pourquoi on utilise ces mots-là. Je vais essayer quand même de les justifier, je crois que c’est important. Bien évidemment, il ne faut pas les répéter toutes les cinq minutes, il ne faut pas que ce soit en boucle. Nous faisons très attention à ça, à cause de l’effet répétitif que cela provoque. En revanche, une personne qui est décapitée c’est une barbarie vraiment particulière, c’est une signature aussi, je crois que cela fait partie de la vérité factuelle, pour regarder la vérité en face. C’est un élément concret de la manière dont a été opéré cet assassinat, et nous devons le dire, nous devons le dire à nos auditeurs. Mais encore une fois, il ne faut pas le matraquer, le répéter. Je crois qu’on prend beaucoup d’égards dans ce genre de situation, mais on se doit de dire les faits. Les faits sont que cette personne a été décapitée. On essaye encore une fois de ne pas trop en faire mais de s’accrocher à la vérité des faits.

Emmanuelle Daviet : Donc l’emploi du mot décapité est parfaitement justifié puisque la décapitation est en soi une « signature », l’expression d’un mode opératoire codifié d’exécution religieuse. C’est donc signifiant et parfaitement déontologique.

Autre question sur un choix éditorial, je vous lis le message d’un auditeur : « Lors de la couverture de l’attentat de Conflans, le contenu du message posté sur twitter par le terroriste a été lu plusieurs à plusieurs reprises sur l’antenne. Pourrait-on arrêter de donner une tribune aux illuminés impliqués dans ces drames? »
Quel est l’intérêt journalistique de lire l’intégralité du message posté sur un réseau social par le terroriste après son passage à l’acte ?

Vincent Giret : Encore une fois, une revendication fait partie d’un élément factuel sur une affaire comme celle-ci. Dire qu’il y a une revendication, dire qu’il y a un auteur à un moment donné qui poste lui-même un message, donner les grandes lignes de ce message, ce sont des faits, des éléments factuels qu’il est important de donner parce que précisément ça qualifie l’opération de terroriste. Il ne s’agit pas de faire du prosélytisme, de faire de la propagande pour reprendre le mot qui a été utilisé par l’un de nos auditeurs. Mais simplement, voilà, l’auteur de cet assassinat barbare a posté un message, voici ce qu’il dit : c’est une signature islamiste, ça qualifie aussi la nature de cette action terroriste, et je pense encore une fois qu’il est important voire même essentiel de le donner. Là encore, il ne faut pas le répéter en boucle toutes les trois minutes, mais à un moment donné, au moment où se déroule la chronologie des faits, quand on apprend cette chose là, quand elle est vérifiée, certifiée, alors c’est un élément d’information décisif qu’il nous faut donner à nos auditeurs.

Emmanuelle Daviet : Vincent Giret, comment définissez-vous le rôle d’une radio d’information continue, de service public dans cette époque troublée avec une pandémie mondiale, une crise sanitaire, économique et sociale historique, avec un reconfinement depuis hier, des tensions internationales, le terrorisme, une société fragmentée
Quelle est, dans ce contexte, la mission de Franceinfo ?

Vincent Giret : Je vais vous le dire d’un mot qui peut paraître banal, qui peut paraître tout simple, un mot auquel je tiens beaucoup, il nous faut être utiles. Vous l’avez rappelé, nous sommes un média de service public. Nous devons être utiles à nos auditeurs, à nos internautes, à nos téléspectateurs. Etre utiles c’est bien évidemment, pratiquer une déontologie, une éthique du débat public, de l’information publique, là encore une fois une information vérifiée, certifiée. L’actualité vous avez raison est incroyablement anxiogène en ce moment. Se conjuguent cette pandémie qui n’en finit pas, d’une grande gravité et puis des actions terroristes qui nous secouent et et nous mettent dans l’effroi général à chaque fois que cela se produit. Dons nous devons bien évidemment faire ça avec tact, faire ça avec professionnalisme, faire ça avec rigueur, donner les éléments de contextualisation, et faire en sorte que l’écoute de l’antenne ne soit pas anxiogène. Là nos auditeurs vous disaient faites attention à ne pas jouer avec l’émotion. Nous y sommes très attachés à cette dimension là, oui nous ne voulons pas jouer de l’émotion. Nous sommes une chaîne d’information, nous ne sommes pas une chaîne d’opinion. On voit bien que certains médias, certaines chaînes d’information ce sont déjà transformés en chaînes d’opinion, bien nous nous sommes une chaîne d’information, c’est très différent. Nous avons un devoir d’impartialité, un devoir de fiabilité, un lien sensible avec nos auditeurs. Par exemple nous faisons en ce moment, nous ouvrons notre antenne à nos auditeurs en cette période très anxiogène nous croyons important de les entendre, d’entendre leur voix, d’entretenir un dialogue avec eux, sur les questions qui touchent la pandémie et sur les autres sujets que vous avez évoqué comme la crise sociale, et la crise économique extrêmement sévère en ce moment. Cette couleur que nos donnons à l’antenne en ce moment, grâce à nos auditeurs, fabrique aussi une antenne moins anxiogène, plus humaine, plus sensible. Je crois que c’est très important de garder cette dimension là dans cette période aussi grave.