Aujourd’hui, la France ne compte plus que 9 médiateurs de presse, dont la majorité (6) dans l’audiovisuel. INA Global vient de publier un article très documenté sur cette fonction peu connue, mais qui permet une véritable écoute du public, auditeurs, téléspectateurs, lecteurs ou internautes.

Voici quelques extraits de cette enquête de Xavier Eutrope…

En mai 2017, lorsque le New York Times supprime (entre autres) le poste de public editor, dont l’équivalent en français serait le médiateur, de nombreux médias américains commentent alors la décision. Ce qui peut surprendre, car le rôle du médiateur n’est pas très connu en France. On en parle peu, peut-être parce que peu de médias français s’en sont dotés : Ils ne sont qu’une dizaine, répartis entre la presse régionale, TF1 et LCI, le Monde et l’audiovisuel public. Ce rôle de médiation entre les lecteurs, téléspectateurs, auditeurs et leurs médias semble être en pleine redéfinition, voire disparition. Ce qui peut paraître paradoxal à l’heure des fake news et d’une crise aigüe de la confiance des citoyens à l’égard des journalistes.
Un peu d’histoire…
« C’est une fonction très ancienne, explique Patrick Eveno, historien des médias et Président de l’observatoire de la déontologie de l’information (ODI). Ce sont les les suédois qui ont inventé ça, sous le nom « d’ombudsman ». C’est quelqu’un qui est à l’intérieur ou en dehors de la rédaction, sans position de subordination par rapport au directeur ou au patron et face au public. Il répond aux demandes de ce dernier, lui explique le travail de la rédaction et transmet ses réactions aux journalistes. C’est donc réellement un travail de médiation ». Le tout premier « ombudsman » apparaît en 1890, mais celui-ci ne travaille pas dans un média : il reçoit les critiques que les citoyens formulent à l’égard du gouvernement suédois.

C’est en 1922, au Japon, qu’apparaît pour la première fois ce rôle dans une entreprise de presse. Un comité composé de plusieurs personnes est formé au sein du quotidien japonais Asahi Shinbun pour faire le relais entre les publics et la rédaction. Aux États-Unis le premier médiateur est embauché pour le journal local de Louiseville, dans le Kentucky, en juin 1967 tandis que le New York Times crée le poste en 2003, après l’affaire Jason Blayr (ce journaliste du quotidien avait falsifié un grand nombre d’articles, inventant des témoins, des sources ainsi que de nombreux détails). Six personnes ont occupé cette fonction avant sa suppression le 31 mai dernier. En France, c’est au Monde que le premier médiateur apparaît, en 1994, lorsque Jean-Marie Colombani, directeur du journal, confie cette mission à André Laurence (directeur de la publication du journal entre 1982 et 1985). Lui ont depuis succédé Robet Solé, Thomas Ferenczi et Franck Nouchi.

 

marie-laure-augry/France3

Marie Laure Augry, figure du journal télévisé de TF1 dans les années 1980 aux côtés d’Yves Mourousi, a quitté récemment le poste de médiatrice des informations de France 3, qu’elle a occupé pendant plus de dix ans[+]. Pour elle, le médiateur « porte la parole du téléspectateur, [il] la fait vivre au sein des rédactions », et la médiation qu’il organise entre les journalistes et les téléspectateurs permet de mener une réflexion commune sur l’approche de l’actualité. Bruno Denaes, médiateur de radio France depuis un peu plus de deux ans, est sur la même ligne. « Un médiateur, ça veut bien dire ce que ça veut dire,  il est au milieu et il fait la part des choses. Je suis la voix des auditeurs au sein de radio France, mais je ne suis pas là pour donner raison soit aux uns soit aux autres ». Le médiateur permettrait ainsi d’ouvrir une fenêtre sur leurs médias aux lecteurs, téléspectateurs et auditeurs. En leur montrant comment l’information est produite et en expliquant les logiques qui régissent les fonctionnements des programmes, le médiateur pourrait recréer ou renforcer la confiance des publics. Franck Nouchi, actuel médiateur du Monde, partage cet avis et considère que le poste est vital pour renforcer les liens entre le public et les rédactions : « Je suis profondément convaincu que plus on explique ce que l’on fait, comment on le fait, les difficultés que l’on rencontre, que l’on avoue nos erreurs, plus on dialogue avec les lecteurs et plus on arrivera à vaincre ce mur de méfiance qui s’est installé petit à petit entre nous ».

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Si les médiateurs français partagent la même vision de leur rôle, tous ne travaillent pas de la même manière. Marie Laure Augry animait un blog ainsi qu’une émission diffusée tard dans la nuit sur France 3, « Votre Télé et Vous», où elle invitait des journalistes des rédactions de France 3 et des téléspectateurs. Bruno Denaes présente des émissions sur France CultureFrance Info et France Inter et écrit plusieurs lettres à destination des directions et des rédactions de Radio France. Franck Nouchi rédige régulièrement dans le Mondeen ligne et sur papier. Il organise aussi des rencontres avec des abonnés dans l’auditorium du quotidien, pour évoquer les méthodes de travail des journalistes et les évolutions du journalisme. « Il y a forcément des conceptions différentes, détaille Patrick Eveno. Ça dépend des sensibilités et des rédactions et des médias, ce n’est pas la même chose dans l’audiovisuel et dans l’écrit. Dans les journaux, c’est une manière de répondre au courrier des lecteurs qui existait avant. Dans les télévisions et les radios, il y avait bien un courrier des auditeurs/téléspectateurs, mais il y était rarement pris en compte. Le médiateur permet de les remettre en avant. »

Un poste pour des journalistes chevronnés

 On ne peut pas être médiateur avant 50 ans 
Patrick Eveno 
La culture de la médiation est une chose, la personnalité et le parcours des personnes qui l’exercent en est une autre, même si les deux sujets sont intimement liés. Marie Laure Augry, Franck Nouchi et Bruno Denaes ont au moins un point commun : ils sont tous très expérimentés. L’actuel médiateur du Monde travaille au journal depuis près de trente-trois ans. Il y a notamment publié des articles sur l’affaire du sang contaminé ou la découverte du virus du sida et fut aussi directeur adjoint de la rédaction du journal. Bruno Denaes est à Radio France depuis les années 1980. Ancien rédacteur en chef de plusieurs antennes régionales du groupe, désormais rattachées au cœur de l’offre de France Bleu, il a occupé plusieurs postes importants au sein de France Info. Marie-Laure Augry évolue quant à elle dans l’audiovisuel public et privé depuis les années 1970.
«  On ne peut pas être médiateur avant 50 ans, explique Patrick Eveno. Ce n’est pas possible, dans la mesure où c’est l’explication d’un média avec son public, il ne s’adresse pas à ceux qui ne le lisent ou ne l’écoutent pas. Il faut quelqu’un qui ait connu la vie de la rédaction, qui sait comment ça marche ». Cette expérience est indispensable selon Franck Nouchi : « Je pense que les médiateurs doivent avoir un long passé dans l’organe de presse où ils travaillent pour pouvoir bien exercer leur fonction. Il faut être relativement légitime par rapport aux rédacteurs que vous allez avoir à commenter. Cette légitimité-là, je l’ai acquise au fil du temps. » Si Bruno Denaes ne s’attendait pas à recevoir le poste, l’ancien secrétaire général de France Info trouve logique qu’on lui ait fait la proposition, compte tenu des exigences du poste : « [La direction] cherchait quelqu’un qui connaissait bien la maison et les gens, raconte-t-il. Il fallait que le médiateur soit diplomate, sensible à la langue française, à l’éthique, à la déontologie. C’était vraiment par compétence et par connaissance du groupe et des gens qui animent les antennes. » Comme le rappelle le site internet de l’organisation des Ombudsmen (ONO), la plupart des médiateurs viennent des médias qu’ils sont chargés de scruter. Mais ce n’est pas tout le temps le cas.

Le reader center, un service plus proche des lecteurs ?

Aujourd’hui, donc, le New York Times n’a plus de médiateur. Celui-ci a été remplacé par un reader center. Dans un post de blog, Cliff Levy, rédacteur en chef adjoint du New York Times, explique que ce nouveau service, dirigé par Hanna Ingber, une journaliste expérimentée, a pour mission d’établir des liens encore plus forts avec les lecteurs, et de permettre de « capitaliser sur les connaissances et l’expérience » de ceux-ci afin d’améliorer le travail des journalistes. Il s’agit d’accueillir et de valoriser les recommandations et les commentaires du public, ou même de transmettre des recommandations de sujets. « Le Reader center privilégie une logique qui se situe entre la co-production avec le public et le marketing éditorial », a expliqué le sociologue des médias Jean-Marie Charon dans une interview à Télérama.  (…)

Le community manager comme médiateur

Ce changement d’attitude du New York Times n’est finalement que le résultat d’un changement plus profond des façons de communiquer. « Ce qui a fait évoluer les choses, explique Patrick Eveno, c’est Internet et les réseaux sociaux – en 1994 quand le médiateur du Monde est nommé, internet n’existe quasiment pas ; Il y a quelques mails mais l’essentiel c’est du courrier papier et du journalisme « à l’ancienne ». C’est pour ça que le New York Times supprime son médiateur. C’est de plus en plus les community managers qui servent de médiateurs. Ce sont eux – ou les rubriques type Décodeurs ou  LibéDésintox – qui, sur les réseaux sociaux, répondent, argumentent, expliquent. Le médiateur existe encore mais on peut considérer qu’il est amené à disparaître si le community management s’amplifie. » Dans un memo interne, Arthur Sulzberger Jr, actuel éditeur du New York Times n’expliquait pas autre chose : «  Aujourd’hui, nos lecteurs sur internet et ceux qui nous suivent sur les réseaux sociaux se sont rassemblés pour servir collectivement de chien de garde modernes, plus vigilants et plus énergiques qu’une seule personne ne pourrait jamais l’être. Notre responsabilité est de les habiliter et de les écouter, plutôt que de canaliser leur voix par le biais d’un bureau unique ».
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Pour Marie-Laure Augry, il ne faut pas confondre médiation et gestion des réseaux sociaux. « Ce sont deux choses complètement différentes. Les réseaux sociaux sont un indicateur. Mais ça n’a, en aucun cas, une fonction de médiation. » Franck Nouchi abonde : « Ce sont deux démarches différentes. Je pense que le New York Times a voulu se débarrasser de quelque chose qui était devenu pour eux une sorte de poil à gratter. Pendant quelques années, à l’issue de l’affaire Jason Blayr, le New York Times avait décidé de prendre le risque du poil à gratter. Je suis d’accord avec eux sur le fait qu’il est important d’expliquer aux lecteurs pourquoi on fait les choses, quelles difficultés on peut rencontrer, ça c’est extrêmement important, mais ce n’est pas la même chose que la médiation ». Pour Patrick Eveno, les choses vont évoluer, mais impossible de prédire de quelle façon : « les réseaux sociaux ne rendent pas caduque la position du médiateur, pour l’instant ils sont complémentaires, ils ont peut-être encore un peu de temps avant de voir leur situation disparaître. Mais pour l’instant effectivement ça pose un problème pour le rôle du médiateur, c’est sûr. »  (…)
Retrouvez l’article complet sur le site d’INA Global : https://www.inaglobal.fr/presse/article/t-encore-besoin-des-mediateurs-9982