Depuis samedi, lendemain des dramatiques attentats qui ont touché Paris et les abords du Stade de France, vous avez été très nombreux à nous écrire. Nous avons reçu plusieurs centaines de messages.
D’une manière générale, vous avez apprécié la façon dont les antennes de Radio France ont couvert les événements et leurs suites. Vous avez surtout réagi à des points précis.

  • D’abord – parce que cela ne peut que faire plaisir à des équipes qui n’ont cessé de travailler à un rythme soutenu, sans beaucoup de repos, depuis la nuit de vendredi à samedi – une sélection de vos messages de soutien :

France Inter : «  Bravo et rien à dire sur vos invités depuis ce drame affreux ».  « Merci à tous, absolument à tous, pour le parfait traitement des attentats de vendredi. Emission après émission, jour après jour ». Et des félicitations spécifiques à certains invités ou chroniqueurs… 

France Info : « Je voulais juste féliciter l’équipe pour cette édition spéciale de haute tenue et vraiment bien menée. Merci pour l’info, l’analyse, la synthèse, l’enrichissement de points de vue. J’apprends beaucoup de vous, merci ». « Comme tous les jours, mais encore plus ce soir, bien contente de vous avoir dans le poste. Pas de surenchères, des faits, de la retenue. Gardez cette ligne, merci ».

France Culture : « J’écoute France Culture depuis ce matin et c’est la respiration de ce moment si dur. Merci à tous ceux qui ont réfléchi et conçu ces émissions dans l’urgence et qui ont réussi à remettre de la pensée (et donc de la complexité) là où elle était écrasée. Heureusement que vous êtes là ».

  • Ensuite, vos remarques sur les programmes :

France Inter : « J’apprécie hautement France Inter qui apporte dans de nombreuses circonstances des vues qui éclairent et font avancer. Au lieu de cela, ce week-end, des émissions qui tournent en boucle, faute d’infos nouvelles, nous repassent pour la énième fois, des témoignages pas toujours éclairants, des considérations qui manquent de recul. On tombe dans les travers des chaines d’info en continu. Quelques satisfécits, samedi soir, Valli et ses invités, dont Arthur H et Juliette, ont su brillamment tenir haut la bannière, en faisant parler leur cœur et leur intelligence ». Et plusieurs réactions à la déprogrammation d’Interception : « Prenant prétexte du carnage de vendredi soir, vous avez cru bon ce matin de supprimer (ou de différer) l’émission “Interception” consacrée à la place des femmes en Arabie Saoudite. Nous avons donc eu droit à une “émission spéciale” qui commençait par une question d’une stupidité affligeante : Comment les gens ont-ils vécu ces tragiques événements? Comment croyez-vous que  “les gens” ont vécu cette soirée et les heures qui suivent? Bon sang, mais c’est évident, en chantant et en dansant, bien sûr !!! », « Nous avons été choqués du report annoncé par votre antenne de l’émission Interception, alors que celle-ci était en totale phase avec l’actualité ! C’est le statut des femmes dans l’Islam qui est au cœur des conflits actuels, et vous supprimez cette émission pour la remplacer par du bavardage ! ». Plusieurs réactions également à la déprogrammation du sujet prévu dans « On va déguster » : « Surprise de cette déprogrammation, alors qu’il était prévu de suivre des parcours de personnes voulant surmonter par la cuisine leur exil d’Irak », « Pourquoi annuler une émission si alléchante « dans cette situation » : « Faites la cuisine pas la guerre » », etc.

Réponse : un tel événement qui touche toute la population impose nécessairement une programmation différente pour faire place au direct et au suivi de l’actualité le mieux possible, avec des explications, des décryptages, etc.

France Info : plusieurs réactions sur le football au moment des attentats. « 22h48, alors qu’on vient d’annoncer 18 morts, le reporter en direct du stade de France nous parle de buts magnifiques et des « 3 minutes à jouer ». J’ai été très choqué par ce grand écart ; j’imagine ne pas être le seul ».

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  • Vous nous faites également des propositions (transmises aux rédactions):

Entendre la société civile : « Je suis choquée de n’entendre dans vos émissions spéciales que des représentants des pouvoirs et des partis de haut niveau, alors que la société civile a aussi pu se mobiliser avec les réseaux sociaux. Il faut compter sur elle ».

Entendre les femmes : « J’entends depuis 48 heures beaucoup d’appels à la haine, à la vengeance face à ce drame horrible. Bien sûr, la défense est légitime, mais j’attends des prises de paroles mesurées et intelligentes, plutôt que ces démarches machistes des hommes en manque de guerre: toujours plus de bombes, de moyen militaire, de moyens techniques … pour quel devenir finalement, personne ne le dit. La parole politique des femmes est absente, sauf pour pleurer les morts et appeler à la minute de silence de ce jour. Mais où sont les femmes, pour nous rappeler que seuls l’intelligence, la négociation, le dialogue et la reconnaissance de l’autre pourront mener vers moins de violence ? N’est-ce pas le but finalement ? Alors, faites de la parité efficace, invitez les femmes au micro de Radio France, elles parleront de la guerre différemment ».

  • Réactions sur le changement d’un titre sur le site de France Inter…

« Je suis très surpris d’avoir observé sur votre site internet, la modification d’un article s’intitulant encore le 14 novembre; « Réfugiés: le fantasme de l’infiltration terroriste« . Cet article avait été écrit le 14 septembre. Or, aujourd’hui, je retourne sur Google, tape le nom de l’article et… stupeur: il s’appelle dorénavant « Des terroristes parmi les migrants? » ».. « Comment faire confiance dans votre traitement journalistique et dans votre honnêteté quand, au lieu de reconnaître que vous vous êtes trompés, vous changez en catimini vos titres ».

Réponse : Confrontés aux graves menaces et aux insultes proférées à l’encontre de la journaliste à l’origine de cet article – une vidéo avec sa photo a même été diffusée -, il a été décidé, dans le contexte des événements tragiques du week-end, d’en modifier le titre et le sous-titre, dans le souci premier de protéger notre consœur. Contrairement à ce qu’affirment certains messages parfois très violents, le contenu de cet article, publié initialement le 14 septembre sous le titre « Réfugiés : le fantasme de l’immigration », n’a absolument pas été modifié. L’article n’était d’ailleurs que le simple résultat d’un travail journalistique à propos d’informations du ministère de l’Intérieur concernant l’éventuel passage de djihadistes dans le flot des migrants.

  • Vous avez également réagi à l’emploi de certains termes…

 Etat islamiste : « Les mots ont un sens et un poids, même au quotidien : dire ce matin que « c’est donc officiel, l’Etat islamiste a revendiqué les attentats de Paris  » a l’air anodin, mais ne l’est pas : en quoi une déclaration terroriste d’un Etat qui n’en est pas peut être une déclaration « officielle ». Incidemment, un tel mot légitime cet état qui n’en est pas un ».  « Pourriez-vous expliquer pourquoi France Info parle d’un état islamique? Celui-ci existe-t-il réellement et où est-il situé? ».

Les victimes : « Je regrette d’entendre régulièrement le décompte de 129 « victimes » et 350 blessés. De mon point de vue, tous sont victimes. En revanche, il faut distinguer les « morts » des « blessés ». Il me paraît judicieux de ne pas ôter aux blessés la reconnaissance de leur statut de victime ».

La démocratie n’est pas morte : « Une journaliste dit : « Nous devons mettre la démocratie de côté pour quelques jours ». Non, Madame, la Démocratie reste debout et nous ne la mettrons pas de côté ! ».

Se faire sauter : « Dans les différents journaux, nous avons pu entendre « il s’est fait sauter ». Utilisé ponctuellement, et en langage simple, c’est déjà bizarre, notamment par le double sens possible. Mais la répétition au fil de la journée, la reprise de cette locution imprécise par différents journalistes me pousse à suggérer à la rédaction de FI de trouver une autre façon de dire « il a fait exploser la ceinture d’explosif qu’il portait » ».

Mourir en martyre : « J’écoute l’édition spéciale ce matin et la journaliste déclare que les trois personnes ont actionné leur ceinture d’explosif « pour mourir en martyre ». Cette formulation malheureuse et non commentée laisse penser que cette croyance est partagée par vos services. Compte tenu des événements, cela est choquant ».

Paris n’est pas la France : « Encore une fois, votre journaliste nous annonce que les sorties scolaires sont annulées dès lors qu’elles nécessitent l’usage de transports en commun… sans en préciser la région ! Si elle ne précise pas où cette mesure s’applique, moi qui l’entends énoncée depuis Angers, je n’ai aucune raison de croire qu’elle ne concerne QUE la région parisienne. Et j’en ai assez de ces oublis dès que les informations concernent Paris. Arrêtez de penser que la France, c’est Paris. De la même façon samedi, vous annoncez que tous les rassemblements et manifestations sont annulés, interdits… sans plus préciser à quelle portion du territoire, ça s’applique. Or j’étais en route pour un festival du livre à Vierzon, et ma femme qui vous écoutait a cru que je devrais rentrer, que mon festival serait annulé, parce qu’encore une fois, le journaliste n’a pas précisé quel endroit cette mesure concernait, DONC on entend, nous, auditeurs, qu’elle concerne tout le pays ! ».

Réponse : toutes vos remarques ont été transmises aux rédactions.

  • Et puis, les réactions de ceux qui nous interpellent sur le traitement de l’information… 

«  Entendre une journaliste annoncer que l’on a trouvé un passeport syrien près de quoi d’ailleurs (un corps de terroriste? Sans lien avec ce carnage?) me semble très dangereux, car les auteurs de ce massacre ont des informations que la police préfèrerait sûrement taire. Informer oui, mais au lieu de rechercher le scoop à tout prix, ne vaudrait-il pas mieux se limiter aux informations sûres »

 Réponse : Cette information est une information importante – on l’a bien vu par la suite – et méritait d’être signalée. La journaliste ne l’a pas inventée ; elle lui a été transmise par des autorités compétentes et responsables.

« Je suis consterné par l’attitude de l’ensemble de la rédaction qui vient de croire utile de passer un enregistrement de l’intérieur du Bataclan, pendant la tuerie. Quelle information transmet cet enregistrement ? Les cris des assassinés, les coups de feu des assassins ? A quoi bon ? Qu’en retire l’auditeur sinon l’effroi et le dégoût d’une bande son de film d’horreur ? ». « Je suis HORRIFIE de constater que vous avez diffusé SANS AVERTIR les auditeurs  – et sans, semble-t-il, aucun recul HUMAIN – les cris et sons de tirs collectés par un journaliste du Monde depuis chez lui pendant la fusillade ». 

Réponse : On peut comprendre que ces documents provoquent des réactions ; ils peuvent provoquer aussi des débats au sein des rédactions sur l’opportunité ou non de les diffuser. Mais ces documents permettaient de saisir, plus que de longs commentaires, la violence de ces attentats. 

« Les journalistes semblent n’avoir pas compris que la laïcité, c’est avant tout la séparation des affaires de l’Etat de celles des églises. Annoncer sans répit qu’une messe sera dite à Notre-Dame et que les cloches sonneront partout le glas, c’est une atteinte à la laïcité. Ce serait pourtant le moment ou jamais de l’appliquer! ».

Réponse : La laïcité n’est en rien concernée ; c’est une information comme une autre. Tout comme on pourrait annoncer telle ou telle manifestation de soutien ou de solidarité organisée par une autre communauté religieuse, une organisation humanitaire ou une entreprise. 

Bruno DENAES                                            

Médiateur des antennes