Emmanuel Laurentin recevait la médiatrice dans son émission « Le temps du débat » jeudi 21 novembre sur France Culture autour du sujet « Que faire de tant d’infos ? ». L’occasion de revenir sur plusieurs thèmes souvent soulevés par les auditeurs : l’ « infobésité » et comment gérer ce trop plein d’informations.

Alertes sur nos téléphones, chaînes télévisées ou radio d’information en continu, notification venant de nos réseaux sociaux : depuis 20 ans, les alertes d’information se sont multipliées au point de pousser certains et certaines d’entre nous entrer de temps en temps dans des périodes de diète médiatique. Comment les nouvelles façons d’informer (chaînes d’infos en continu, push…) modifient-elles notre quotidien ? Quels effets sur nos émotions ? Comment hiérarchiser les informations ?

David Shenk, en 1993, a introduit ce terme « d’infobésité » pour désigner un phénomène de surcharge cognitive, en ce sens que celui qui s’informe n’arrive plus à distinguer ce qui relève du futile de l’essentiel dans l’information. Faire le tri devient alors difficile.

Les informations, nouveaux polluants ?

Emmanuelle Daviet : Les auditeurs ont l’impression que les informations qu’on leur donne sont des nouveaux polluants. Les informations que l’on donnerait sur les antennes seraient trop plombantes. Ils reprochent aux journalistes de ne donner que des informations négatives, qui présentent une vision du monde pleine de drames. Les auditeurs souhaiteraient que le journalisme s’inscrive plus dans un journalisme de solutions. Entendre des reportages qui valoriseraient des initiatives positives. Mais, et c’est là où s’exprime une contradiction forte, l’information positive, bonne, n’intéresse pas les gens. C’est Mac Luhan qui écrivait : « good news is no news » (les bonnes nouvelles ne sont pas de l’information).

« Distinguer l’information futile de l’essentielle »

Emmanuelle Daviet : Les auditeurs sont dans une temporalité immédiate. Ils ne prennent pas le temps de digérer l’information. Parfois, leur relation à l’information est très irrationnelle, il y a une illusion d’ubiquité. Car, en effet, il est nécessaire de recontextualiser l’information, de se poser pour l’expliquer et la digérer. Par ailleurs, il faut distinguer information de connaissance. C’est Egdar Morin lui-même qui écrivait il y a déjà presque quarante ans :

« Il est étonnant que l’on puisse déplorer une surabondance d’information. Et pourtant, l’excès étouffe l’information quand nous sommes soumis au déferlement ininterrompu d’évènements sur lesquels on ne peut méditer parce qu’ils sont aussitôt chassés par d’autres évènements. Ainsi au lieu de voir, de percevoir les contours, les arêtes de ce qu’apportent les phénomènes, nous sommes comme aveuglés par un  nuage informationnel. » (Pour sortir du 20ème siècle, Edgard Morin, 1980)

Apprendre à s’informer

Dans une étude réalisée à l’université de Stanford, 82% des étudiants ne savent pas faire la différence entre un communiqué de publicité et un article de fond

Surinformés et le plus souvent mal informés, les adolescents peinent à déterminer la fiabilité d’une information. Selon un rapport de la Stanford Graduate School of Education publié en 2016, 82 % des jeunes (collégiens, lycéens, étudiants) sont dans l’incapacité de faire la différence entre un contenu publicitaire « sponsorisé » et un article de presse publié sur un même site Internet, ou bien d’identifier l’origine d’une information. « Beaucoup de gens estiment que, parce que les jeunes maîtrisent les réseaux sociaux, ils sont attentifs à ce qu’ils y trouvent, constate le professeur Sam Wineburg, auteur principal de ce rapport. Notre travail montre que c’est le contraire qui est exact. » Les chercheurs ont commencé leurs travaux en janvier 2015, bien avant les débats sur les fausses informations et leur influence sur l’élection présidentielle américaine. Ils ont cherché à évaluer comment ce public de jeunes adultes, et futurs jeunes adultes, jauge les informations en ligne. Les conclusions de leur étude laissent clairement apparaître leur crainte quant à la menace qui pèse sur la démocratie du fait de la facilité avec laquelle la désinformation se propage et prospère sur les questions citoyennes.

Emmanuelle Daviet : La solution serait peut-être alors d’adopter un mode structuré, d’identifier des objets de consommation informationnel, au lieu de se laisser prendre d’assaut par n’importe quelle source d’informations. D’ailleurs, l’un des grands défis est d’éduquer les jeunes publics à l’information. Car beaucoup d’entre eux ne savent pas, par exemple, ce qu’est une source. Et s’informer, c’est d’abord savoir distinguer ce qu’est une source. C’est prendre conscience que le métier de journaliste n’est pas de donner une information brute, sans contexte, mais justement de recontextualiser, de croiser ses sources et d’interroger différents interlocuteurs.