L’actualité dramatique provoque toujours de très nombreuses réactions de nos auditeurs. L’attentat de Nice ne déroge pas à la règle. Tous vos messages (plusieurs centaines) ont été lus. Les plus « urgents » ont été adressés immédiatement aux rédactions. Le médiateur ne pouvant répondre à chacun d’entre vous, il se propose de le faire point par point dans cet article.

Comment en parler ?

Comme toujours en pareil cas, chacun a son avis sur la façon de traiter un tel événement. Globalement, vous semblez plutôt satisfaits de la façon dont les antennes de Radio France ont relaté les faits. Quelques auditeurs nous ont toutefois reproché des « descriptions horribles » et « des témoignages trop descriptifs ». Rappelons quand même qu’il s’agit d’un attentat et il serait anormal de ne pas dire clairement – mais en respectant les victimes – ce qui s’est passé. Est-il raisonnable de se voiler la face et de vouloir ignorer ce qu’ont vécu des milliers de personnes sur la Promenade des Anglais ? Cela dérange peut-être la quiétude de certains, mais la réalité est là… Pourquoi ne laisserait-on la parole qu’aux politiques ou aux experts sans permettre aux témoins ou aux victimes de s’exprimer, avec pudeur et recul évidemment ? Non, ce n’est pas du voyeurisme quand, dans un reportage, on entend des témoignages de parents ou d’amis. Faudrait-il « aseptiser » l’actualité au point d’ignorer les victimes, le sang, le traumatisme… ? Pourquoi refuser l’empathie dans une telle situation ? Comme le dit très bien le politologue et spécialiste du complotisme, Emmanuel Taïeb, à trop vouloir cacher certaines images d’une réalité violente, « des pans entiers du réel échappent à la médiatisation, laissant accroire que ce qui n’est pas vu ne se produit pas, et, faute d’images, la violence demeure virtuelle ».

« Est-il responsable de consacrer tout ce temps d’antenne au drame de Nice ? N’est-ce pas contribuer à la démoralisation de la population ? ». Devrions-nous ignorer tout ce qui négatif et inquiétant ? Nous serions alors dans un régime de censure ou d’autocensure… C’est notre rôle de média d’informer les citoyens (que nous sommes tous) et d’expliquer l’actualité ; libre ensuite à chacun de se faire une opinion, de se sentir concerné, ou, au contraire, de jouer à l’autruche et de se refermer sur soi-même en ignorant ce que vivent et subissent les autres.

Comment parler du tueur ?

Plusieurs d’entre vous regrettent que nous donnions le nom de Mohamed Lahouaiej Bouhlel au risque d’en faire un héros. Le nom des assassins, des tueurs, des terroristes est toujours donné dans un souci d’information et de transparence. Cela n’en fait pas pour autant des héros. Cacher ce type d’information ne ferait qu’alimenter les thèses complotistes dont s’abreuvent les esprits faibles, eux-mêmes capables de jeter la suspicion sur des actes terroristes, comme les attentats du 11 septembre 2001.

« Vous vous intéressez trop au tueur ; pensez-vous aux familles des victimes ? ». Je serai tenté de répondre que cela n’a rien à voir. Oui, il est utile d’en savoir plus sur ce tueur pour tenter de comprendre pourquoi il a commis un tel carnage.

« Pourquoi avoir dit qu’il était Franco-tunisien, alors qu’il était Tunisien ? ». Et évidemment, certains d’entre vous nous prêtent des intentions manipulatrices. Tous les médias n’ont fait que relayer les informations transmises, dans un premier temps, par les enquêteurs. Une erreur – rectifiée ensuite – peut intervenir dans les débuts d’une enquête difficile. Pas de quoi crier à la manipulation…

Laisser parler les politiques ?

Vous êtes nombreux à vous en prendre aux réactions politiques diffusées après l’attentat. « Vous faites parler des gens qui ne disent que des sottises en ces jours particulièrement difficiles. Qui peut prévoir où vont frapper les terroristes ? ». « Pourquoi nous infliger un discours électoraliste ? » « De grâce, ne relayez pas les propos indécents de politiques qui veulent se servir des linceuls comme tremplin à leur ascension personnelle ? ». Sur le fond, vous avez raison ; l’attitude de nombreux hommes politiques a été d’une particulière indécence, quand elle n’a pas frisé le ridicule avec cette déclaration appelant à équiper les policiers de lance-roquettes. Mais, une fois encore, nous ne sommes pas là pour censurer la parole de qui que ce soit. Cela fait partie du jeu démocratique. Chacun se fait sa propre opinion à l’écoute des déclarations. Et, à vous lire, je pense que vous vous l’êtes faite…

Interroger des spécialistes clivants ?

L’écrivain Tahar Ben Jelloun et l’ancien porte-parole de Tsahal, Olivier Rafovitch, invités de France Inter, ont suscité un certain nombre de réactions. Souvent opposées… Une fois encore, le conflit israélo-palestinien s’est retrouvé au centre des protestations. Pour les uns, il est « indigne de faire une distinction entre terrorisme et résistance » ; pour les autres, « Israël pratique un terrorisme d’Etat ». Mais c’est cela le pluralisme d’une antenne : permettre d’entendre des avis différents afin d’enrichir ses propres opinions.

Parler de haine ?

« J’ai une haine féroce envers ce gouvernement. Si je dois prendre les armes, croyez-moi, je les prendrai ». Cette interview diffusée dans le journal de 13h de France Inter à l’issue de la minute de silence lundi à Nice a profondément choqué plusieurs d’entre vous : « Est-il normal de diffuser des paroles de haine à cette heure de grande écoute ? », « Rajouter de la haine à la haine ne semble pas la meilleure façon de prendre du recul sur cet attentat », « Les infos font réfléchir, mais attention aux paroles à l’emporte-pièce ». Je partage totalement ces réactions.

Parler de semi-remorque ?

« Remarque accessoire, mais symptomatique du suivisme dans les erreurs ». Oui, vous avez raison. Vous êtes plusieurs auditeurs vigilants à avoir remarqué que nous continuions de parler d’un semi-remorque, alors que les images montraient bien un camion sans remorque. « J’ai entendu les mêmes âneries à propos du camion sur toutes les chaînes (semi-remorque, camion de 15 mètres, alors qu’il doit s’agir d’un « 15 tonnes ») ». En fait, il s’agit des premières informations qui ont été transmises par les agences de presse. Informations qui se sont affinées à fil des heures, mais certains détails, comme ceux concernant le poids-lourd, ont été longs à être actualisés sur les antennes. Et je le déplore.

Reproche nous est fait également à propos de l’utilisation de l’expression « urgence absolue » pour qualifier l’état critique de certaines victimes : « Cela ne correspond à rien médicalement parlant ». Au contraire, il s’agit bien d’une catégorie précise d’urgence, expliquée dans le Dictionnaire de l’Académie de Médecine. L’urgence absolue – stade ultime de l’urgence – signifie la prise en charge immédiate du patient au risque d’une mort rapide ou d’une lésion irréversible.

Bruno DENAES

Médiateur des antennes

A lire : https://www.laviedesidees.fr/Faut-il-montrer-les-images-de-violence.html

https://rue89.nouvelobs.com/2016/07/15/apres-nice-cacher-violence-cest-aussi-comprendre-264664

https://www.scoop.it/t/odi-journalisme-et-deontologie