Difficile ces derniers jours de ne pas entendre de l’anglais sur les antennes. Depuis la nuit américaine organisée le 3 novembre sur France Inter et Franceinfo à l’occasion de l’élection présidentielle américaine, des interventions, des reportages, des directs ont souvent été émaillés de prises de parole en anglais, parfois non traduites ce qui a pu agacer des auditeurs.
A propos de cette élection, ils ont essentiellement écrit pour dire leur incompréhension quant au temps d’antenne accordé à la couverture de cette actualité pourtant historique :

« L’élection américaine prend trop de place dans vos émissions. Surtout qu’elle n’en finit pas avec leur système compliqué. Trop de reportages, trop de chroniques, trop d’analyses et de redites… Les informations étrangères, hors USA, sont presque inexistantes. Vraiment, je le dis gentiment, cette élection américaine nous « saoule » un peu. Il n’y a que le résultat final qui est important. »

Comment expliquer cette hypermédiatisation de l’élection américaine et l’importante couverture qui lui est accordée sur les antennes de Radio France ? Pour Jean-Marc Four, directeur de la rédaction internationale de Radio France, interviewé sur Franceinfo dans le rendez-vous de la médiatrice, trois raisons expliquent cette fascination : « On parle évidemment des Etats-Unis, c’est la première puissance de la planète. Ce qu’il se passe ici, aura des conséquences pour tout le monde dans les années à venir. Prenons les accords de Paris sur le climat, typiquement. Deuxièmement, on parle de Trump qui est un Président hors normes, qui vient de bousculer tous les codes pendant quatre ans. C’est une personnalité tellement particulière qu’on ne peut que s’intéresser à ce qu’il se passe ici. Troisièmement, cela peut paraître plus superficiel, mais ça explique aussi cette hypermédiatisation, c’est ce suspens, quoi qu’on en dise qui est fascinant sur les résultats du système électoral américain très particulier. »

Le résultat est enfin tombé : le candidat démocrate, Joe Biden, a été déclaré vainqueur samedi dernier après avoir franchi le seuil nécessaire des 270 grands électeurs. Un auditeur écrit : « Je trouve assez choquant que vos journalistes ne cessent de parler de Joe Biden en utilisant le sobriquet dénigrant « Sleepy Joe » ou sa version française « Joe l’endormi ». Je ne comprends pas cette insistance à reprendre ce terme insultant qui, à l’origine, est à destination de la partie la plus radicale de l’électorat d’un illuminé. »

D’autres auditeurs reprochent à Radio France sa « Bidenmania » :
« Les journalistes ont oublié d’être neutres. Ils sont censés nous donner des faits et non des opinions »

« Biden est votre président de cœur. Depuis 6 mois, vous l’avez désigné vainqueur. »

« Je reviens d’expatriation aux États-Unis et retrouve France Inter avec plaisir. Je suis toutefois plus qu’étonné du ton des journalistes du 7/9 et de la soirée de samedi. Ce n’est pas de l’information, c’est de l’enthousiasme militant. D’abord une grande partie de la population est républicaine, ce qui importe quelque peu en termes de positionnement d’un média d’information de premier plan. Les amitiés nouées durant mon expatriation sont issues des deux côtés de l’échiquier. Je peux le garantir, les Républicains ne sont pas que des Red necks (ndlr : littéralement “nuque rouge”, stéréotype d’euro américains vivant en milieu campagnard). Il y a dans les deux cas aussi une détresse, mais surtout, des éléments propres à la culture de chaque État qui permettent de construire un vote. Un Américain, même démocrate francophone, ne pensera jamais comme un Français. Il faut enlever ses lunettes de Français (et c’est vrai que ce n’est pas toujours facile ! C’est du vécu !). Par ailleurs, le positionnement des journalistes US est tellement polarisé, qu’il vaut mieux être présent. Car cette polarisation alimente le complotisme là-bas et ici aussi, à tel point que des européens encore aux US commencent aussi à être influencés au regard des avis non-nuancés de tous les médias. »

Cette critique d’un déséquilibre éditorial entre démocrate et républicain est-elle justifiée ? Pour Jean-Marc Four, il y a deux choses distinctes dans la couverture éditoriale : « Vous avez les reportages d’un côté, vous avez les invités de l’autre. Pour ce qui est des reportages faits aux Etats Unis, je pense vraiment que nous avons une couverture très équilibrée avec beaucoup de reportages des deux côtés, avec beaucoup de reportages aussi du côté des militants Républicains et des « trumpistes », en Floride, dans le Michigan, dans le Texas, dans le Nevada, en Pennsylvanie, partout. On les a entendus au moins autant que les militants Démocrates. Je pense vraiment que c’est très équilibré.
Du côté des invités, et particulièrement des invités en France, il y a un écueil, il y a peu de voix favorables à Trump (…) c’est un fait. L’image des Etats-Unis est très dégradée à l’étranger. Et donc mécaniquement, vous trouvez plus de voix qui parlent en faveur d’une alternance pour les Démocrates que de voix en faveur de Trump quand vous cherchez des invités à l’étranger. Cela étant, lors de cette nuit américaine, j’y étais, j’ai entendu longuement le représentant des Républicains en France, s’exprimer sur cette antenne commune France Inter, Franceinfo. »

La remarque a également été adressée à France Culture, un auditeur demande :
« Pourquoi la grande majorité de vos invités sur toute la période consacrée à l’élection américaine étaient des pro-Biden ou des anti-Trump ? ».

Sandrine Treiner, directrice de France Culture, a tenu à répondre lors du rendez-vous de la médiatrice hier, jeudi 12 novembre : « C’est une assertion qui engage surtout ceux qui vous écrivent. Nous n’avons pas cherché à faire ni du pro Biden, ni du pro Trump, et au fond, juger des uns et des autres n’offre que peu d’intérêt. Ce que nous sommes parvenus à faire sur France Culture, c’est de rendre compte des enjeux, les enjeux de cette élection et cette longue attente des résultats. Je crois que la rédaction de France Culture et les rédactions de Radio France, à travers la rédaction internationale conduite par Jean-Marc Four, ont fait un travail tout à fait exceptionnel de documentation et de reportages, et là est l’essentiel. Après on ne va pas se cacher derrière notre petit doigt, la plupart des experts des Etats-Unis, des experts tout court, sont généralement assez peu favorables à Donald Trump. On peut par ailleurs les comprendre ou les désavouer. Mais je crois que l’essentiel, pour nous, était vraiment d’essayer de comprendre et non pas de juger. J’espère que les auditeurs, nonobstant cette remarque, conviendront que c’est cela que nous sommes parvenus à faire. »

Des auditeurs auraient également souhaité entendre plus d’analyses sur le bilan diplomatique du 45ème président des Etats-Unis :
« J’écoute vos journalistes (…) tellement heureux de l’élection de Biden… oublions les 70 millions d’américains, majoritairement en difficulté pour leur travail et qui pensent que seul Trump peut faire quelque chose pour eux. L’important c’est que le sauveur des médias soit élu… oubliant au passage que Trump n’a enclenché aucune guerre, a fait la paix avec la Corée du Nord, engagé des traités de paix entre Israël et des pays musulmans, etc. Mais cela visiblement n’est pas important pour ces chroniqueurs…Triste constat dont je ne suis pas vraiment surpris. »

« Étant auditeur du groupe Radio France depuis de nombreuses années, j’apprécie beaucoup vos émissions. Même s’il ressort chez certains de vos animateurs un certain parti pris idéologique qui peut être agaçant, c’est de bonne guerre. En revanche concernant les élections américaines, j’ai été choqué de voir à quel point vous manquiez d’objectivité. Donald Trump est certes un personnage parfois déplaisant et ambigu, cependant vous réduisez souvent son bilan à ses foucades et ne mettez pas vraiment l’accent sur ses réussites économiques diplomatiques. Il est certes très clivant dans son pays. Mais j’estime qu’en tant qu’auditeurs d’un service public français, nous sommes en droit d’attendre un peu plus d’objectivité de votre part. »

Trump faiseur de paix… Trump redresseur de l’économie américaine… Ces angles ont-ils été suffisamment évoqués ? Nous poserons la question à Jean-Marc Four directeur de la rédaction internationale demain sur Franceinfo dans le rendez-vous de la médiatrice samedi 14 novembre à 11h51.

Emmanuelle Daviet
Médiatrice des antennes.