LETTRE A LEO
Le confinement, voilà le moment rêvé pour t’écrire à toi mon fils et à tous tes collègues, quelques soient les postes qu’ils occupent, quelques soient les ondes sur lesquelles ils travaillent ; Vous, journalistes, techniciens, réalisateurs, producteurs et tous les autres, continuez à nous maintenir en lien avec le monde, l’ailleurs, le dehors même si celui-ci semble voler en éclats.
Cette petite lettre pour te remercier, toi et vous tous qui travaillez à la « maison ronde » et qui nous permettez d’écouter la radio en ces temps de grande solitude pour beaucoup, d’angoisse pour la plupart, et de la prise de conscience de notre vulnérabilité. Cette lettre pour tous vous remercier car voulons continuer à rester informés, continuer à se cultiver, continuer à rêver, continuer à écouter de la musique, continuer à imaginer notre futur ; pour que nous, auditeurs nous ne soyons pas perdus et continuons à vivre notre quotidien à l’écoute d’autres êtres vivants, ailleurs que dans notre espace devenu étroit. Nous apprenons à vivre au jour le jour, accompagnés de vos voix, et je vous remercie d’être nos compagnons.
Pour toi, mon fiston resté à Paris - service public oblige et c’est tant mieux - toi qui vis dans un petit logement, toi qui ne te déplaces plus que pour de l’utile, je vais te décrire mon jardin qui en ce moment est mon paradis. Il n’est pas grand comme tu le sais mais je veux le partager. Il faut dire que le virus qui nous menace n’a vraiment pas choisi le moment idéal : se présenter à nous alors que le printemps arrivait, qu’il est là avec en plus un soleil radieux et des températures estivales, tout pour nous narguer et nous exaspérer.
Imagine-toi au seuil de la porte du salon ; la glycine au fond est en fleurs et en fin d’après-midi, la chaleur exacerbe son odeur suave et sucrée ; les grappes mauves languissent à l’ombre puisque le soleil a tourné. Plus à droite, les corètes du japon se fanent, il fait trop chaud pour elles. Et puis les fleurs de camélias sont dans tous leurs états ; certains boutons ont de l’avenir, certaines fleurs sont fanées tombées au sol sur les pavés et d’autres sont complètement ouvertes, offertes et en ces moments, je les regarde et les regarde encore. Chaque plante, chaque fleur ont toute mon attention, mérite cette attention. Les quelques iris s’érigent et se hissent vers la lumière ; les boutures de rosiers se portent bien mais comme toujours, je les ai faites à la hâte alors je ne sais pas quelle variété va fleurir mais cela n’a pas d’importance. Je les soigne et surveille les pucerons qui sont nombreux sur les nouvelles pousses, ils se régalent, c’est la vie. J’ai d’ailleurs appris qu’ils se reproduisaient par parthénogénèse, ce que j’ignorais.
En fait, en ces moments où tout à coup on a du temps, on ne sait qu’en faire, puis peu à peu on l’apprivoise, on l’utilise, on finit par l’aimer et à regarder et à se poser des questions enfantines et tellement essentielles.
Mais, pour en revenir au jardin, un peu à droite, la clématite qui enserre le petit pommier n’est qu’une boule rose et blanche, un concentré de vie, de sève, d’une générosité folle si l’on considère le peu de terre dont elle dispose dans son pot.
A gauche de l’entrée de la cuisine, dans plusieurs pots, quelques variétés d’hortensias, tu sais « ces fleurs de vieux » comme tu dis ! c’est incroyable de voir les connotations si différentes que chacun a sur son environnement ; pour moi, ce sont des fleurs de bord de mer, de vent, de ciels changeants, d’iode et de respiration, enfin tout ce qui gonfle le thorax et écarquille les yeux et pour toi, ce sont des fleurs de vieux ! si je t’écoutais, cela ferait longtemps que je suis vielle….
Et puis tant d’autres variétés autour de moi dans des pots de toutes tailles, tout un assortiment de plantes glanées partout comme si j’avais besoin de remplir indéfiniment cet espace jusqu’à en étouffer : succulentes, géranium sauvages, pervenches à petites et grandes fleurs, primevères, petit acer aux feuilles couleur lie-de-vin, euphorbes, hellébores que j’ai rangées à l’ombre et dont les fleurs violacées perdurent, enchères et tant d’autres plantations que je surveille jour après jour juste pour le plaisir de voir la vie continuer.
Certains amis trouvent mon jardinet mignon et intime, ce petit espace au cœur de la ville. Moi des fois j’ai envie de tout tailler pour respirer mais en ce moment, il me calme, me rassure, me protège du dehors incertain donc hostile et je le protège, le nourrit, le soigne et l’observe comme j’ai pu le faire pendant tant d’année pour toi.
C’est une bouffée d’oxygène que j’essaie de t’offrir, toi qui n’as que tes fenêtres ouvertes sur une maternité parisienne. A ce propos, j’ai une pensée pour ces bébés nés ou à naître prochainement dans ce contexte et au bonheur entaché des parents.
Cette lettre n’est peut-être pas nécessaire ; je sais que l’imagination peut t’offrir de beaux voyages, sans moi, sans bagage, sans argent, sans contre temps, en pleine liberté mais je profite de ces circonstances pour t’écrire autre chose que des messages rapides et efficaces mais qui ne parlent pas de nos pensées intimes, la pudeur nous en empêche si souvent.
Ce n’est pas la fin du monde mais j’espère que c’est la fin d’un monde qui ne convient qu’à trop peu de gens.
J’espère que ces quelques lignes t’ont transporté dans notre lieu qui n’est plus le tien désormais mais qui t’appartient toujours.
Dans mon jardin, la petite table en fer repeinte reste à sa place ; 2 chaises sont installées et la 3ème t’attend avec impatience.
A très bientôt.
Maman

PS : je suis une audiophile assidue et je vous prie de tout cœur de continuer à travailler pour nous et à émettre contre vents et marées.
Bon courage à vous tous.