Jamais vous n’avez été aussi présent. Sous les poitrines des individus et le silence nouveau des villes. Derrière chaque masque mobile des ombres des villes et des champs. Votre nom est partout. A chaque coin de rue et sur tout le globe. Vous êtes même présent derrière les rideaux baissés des bistrots et magasins. Impossible de ne pas vous croiser. Comme toujours en réalité. Mais première fois que vous ne passez pas inaperçu. Plus important que tout reste. La ressource essentielle de sept milliards d’êtres.
Soudain la peur de vous perdre s’est propagée. Des cités populaires aux quartiers populaires, tous logés à la même enseigne, sous la peau. Les autres peurs battues en brèche. Toutes les bourses en chute libre. Pendant que vous grimpiez à vitesse grand V sur la courbe vitale. Plus coté que la plus coté des actions. La valeur or brusquement le nez dans la boue. Tout le pays et la planète tournés vers vous. Devenu en quelques semaine la monnaie la plus puissante de la planète. Seule valeur refuge mondiale. La monnaie la plus indispensable.
Étrange que votre présence soit passée aussi longtemps inaperçue. Alors que vous êtes au centre de tout. D’un seul coup, même les plus cyniques ont eu peur de manquer de vous. Alors qu’auparavant ils ne s’intéressaient qu’à leur profit et croissance. Désormais, chacune et chacun ne jure plus que par vous. Le même intérêt du bas en haut de l’échelle. Comment est survenu ce brusque éclairage sur votre importance ? Tout serait parti d’un animal puis d’un virus. Le Covid 21 qui a traversé la planète. Une cavale meurtrière de poumon en poumon. Asphyxiant les hommes et les femmes. Mais aussi révélant la cupidité de l’argent-roi. Un monarque démasqué et mis à nu. Comme ces poitrines en suspens dans des hôpitaux asphyxiés par ce roi sans scrupules.
Tout a été dit sur vous ces derniers jours. Le meilleur et le pire. Pas un jour sans son lot de commentaires. Même si votre nom est peu employé. Contrairement au Covid 19 ou Coronavirus. Au fond, tout le monde ne parle que de vous. S’inquiétant de votre future absence dans son corps ou celui de proches. Une inquiétude légitime. La mort en avalanche se produisait d’habitude très loin. Derrière son écran et à des milliers de kms dans le sable d’un désert. Parfois une irruption de barbares sur notre théâtre urbain sans guerre. Première fois que la mort pouvait toucher n’importe qui et emporter des foules. Fort rares les moments d’une telle mixité sociale. Sans la promiscuité des festivités des coupes du monde de football. Toutes les mains suspendues à un salut de la science. Ou une fin de la pandémie. En attente du retour des jours normaux.
Cette épidémie passée, serez-vous reléguée à nouveau en arrière plan ? Redevenue juste un banal aller-retour sous nos poitrines. Sans doute nécessaire. Car penser sans cesse à vous serait invivable. Oublier votre présence est indispensable. Mais peut-être se servir de ces milliers de morts et de blessés pour changer la hiérarchie de nos priorités. Collectives et individuelles. Ne pas positionner un billet de banque au-dessus d’un individu de chair et d’os. Autrement dit: retrouver le sens de l’humanité égarée. Mais pas perdue. Et toujours prête à ouvrir grand ses poumons.
Pour un nouveau souffle.