Lettre à mon père

Hier, j’ai pensé, soufflé, crié « Je t’aime » peut-être un milliard de fois, pour que tu m’entendes dans ton sommeil. M’as-tu entendu ? J’essaie de t’entendre moi, surtout la nuit.

Il y a quinze jours seulement, on riait. Te voir soudain te dégrader, sans même pouvoir t’approcher, c’est ça, un film d’horreur. Tu ne riais plus. Tu n’étais plus capable de rien. 40 degrés, encore et encore. Foutue fièvre, baisse, je t’en conjure !

À travers la vitre, nous assistions à ta fulgurante déflagration, avec pour seule arme : le paracétamol. Et le soleil - si beau et intense, malgré la douleur. Mais tu ne voulais pas déranger les médecins, déjà débordés.

Puis, à l’hôpital, sous oxygène, tu nous as textoté : « J’ai traversé une nuit d’horreur, mais je vais mieux ». Tu reparlais d’évènements anodins, des cours à distance de Manu. La vie reprenait. Lueur d’espoir. Nous apprendrons plus tard qu’ils ont dû t’intuber après tes messages. C’est un choc.

Tout est irréel. Tous les matins, tous les soirs, toutes les heures, j’ai peur. Peur de ce qu’on va m’annoncer. Epée de Damoclès qui fait couler tant de larmes. « Il est stable ». Je m’accroche à ce mot « stable ». Stable. Il est stable.

Avec Manu et maman, nous t’avions écrit une lettre et choisi avec minutie une photo de nous, dissimulées dans les affaires que nous t’avions apportées. Mais tu n’as pas eu le temps de les voir. Tu voulais tes slips, ton manteau, ta brosse à dent… Aujourd’hui tu es en réanimation et tu n’utilises plus aucune des choses matérielles qui font de nous des humains. Ton corps est à l’arrêt.

Mais tu as eu un lit.
Denrée rare et précieuse aujourd’hui.
La faute à qui ?

À tous ceux qui s’occupent inlassablement de toi, je dis un titanesque Merci.

C’est si dur de ne pas te voir. De ne pas te sentir. De ne pas te toucher. Loin de toi, on imagine le pire. L’absence est souffrance. L’attente est angoissante. L’impression de ne servir à rien. Parfois, avec Manu et maman, on se regarde, anxieux, sans savoir que faire, que dire. Dehors, nous entendons le SAMU bourdonner, à intervalles réguliers.

Papa, nous t’attendons avec les chats, assis sur le canapé vert.

À ton retour, nous prendrons un petit chien. À ton retour, nous ferons tout ce que nous n’avons jamais pris le temps de faire. À ton retour, je ne manquerai plus aucun de tes appels. À ton retour, nous nous aimerons plus que ce qu’il est permis d’aimer. À ton retour, tout sera plus beau, plus fort, plus grand qu’avant. Papa, reviens vite.

M’entends-tu ?
Je crie si fort.
Je t’aime, si fort.

Ta Léa

PS : Je dédie cette lettre au papa de mon amie Céline, Jean-Luc, à qui il ne reste plus que quelques jours à vivre. À tous les Jean-Luc.