Lettre ouverte à Sonia Kronlund,   
productrice de l’émission « Les Pieds sur terre » sur France-Culture   
envoyée par Zéromacho et 17 autres associations engagées pour l’abolition de la prostitution, membres du collectif Abolition 2012 (liste ci-dessous). 
  
Depuis longtemps, nous nous étonnons de la représentation fréquente, partiale et mensongère de la prostitution sur les ondes de France-Culture en général et dans « Les Pieds sur terre » en particulier. Nous vous avons interpellée plusieurs fois sur le sujet ; dans votre réponse du 20 février 2020, Sandrine Treiner et vous-même avez fait état de votre « habitude de donner la parole à des personnes de la société civile qu’on entend peu ».  
  
Or, une nouvelle fois, l’une de vos émissions, en omettant de donner la parole à celles que l’on entend encore moins que celles « qu’on entend peu », montre votre peu d’empressement à rendre compte de la vérité du système prostitutionnel. 
   
Le 18 septembre 2020, vous avez diffusé de « belles histoires » de chauffeurs Uber, puis (selon la présentation sur le site) : « En miroir de ces belles histoires, Michel, Mustafa et Nacim protestent contre leur « exploitation » par le système Uber. » 
  
De même, le 25 septembre 2020, vous dénoncez la situation des « esclaves à vélo » avec l’exemple d’un livreur pour Frichti, plateforme de livraison de repas.  
   
Curieusement, quand il s’agit de prostitution, par exemple le 16 septembre 2020 (https://www.franceculture.fr/emissions/les-pieds-sur-terre/escort-au-temps-du-corona), la parole n’est jamais donnée à des personnes qui « protesteraient contre leur « exploitation » par le système prostitueur ».  
  
Cette exploitation et les violences qu’elle entraîne sont pourtant bien identifiées par des études psychologiques et médicales. Cette violence est désignée comme telle dans la loi française de 2016 sur le système prostitutionnel, qui punit d’une amende l’achat d’actes sexuels (5 000 contraventions dressées en 4 ans). 
  
Diffuser seulement de « belles histoires » de prostitution, c’est passer sous silence la réalité prostitutionnelle : violences et criminalité.   
  
Pour les chauffeurs Uber, l’émission a su proposer d’autres histoires, en miroir, qui critiquent le système Uber. Pourquoi ne faites-vous pas de même pour le système de prostitution ? Vous pourriez donner, en miroir, la parole à des personnes compétentes. 
  
Nous sommes à votre disposition pour vous en indiquer. Ces spécialistes sont en contact quotidien avec des personnes voulant sortir de la prostitution et aussi avec d’autres qui l’ont quittée et témoignent librement aujourd’hui. 
  
Leur donner aussi la parole servirait un but à la fois objectif et pédagogique, c’est-à-dire s’inscrivant dans la mission d’une radio de service public. 
  
Avec nos sentiments les meilleurs 

Sonia Kronlund productrice de l’émission Les Pieds sur Terre, vous répond :

Chères auditrices,
Chers auditeurs,
Dans les Pieds sur terre du 16 septembre 2020, nous avons donné la parole à des travailleuses du sexe qui ont évoqué leurs conditions de vie et leur santé pendant le confinement et plus globalement en temps de pandémie de Covid-19. La première, une jeune femme de 20 ans anciennement sans-abri, raconte avoir dû continuer la prostitution pour subvenir à ses besoins et être confrontée aux violences de clients qui tentent de négocier les tarifs en ces circonstances difficiles. Deux autres femmes témoignent de leurs difficultés, l’une a pu rester confinée chez elle et une autre explique son travail dans un cabaret malgré la pandémie. Toutes deux évoquent les risques supplémentaires qu’elles prennent et les lourdes conséquences économiques de la crise sur leur activité.
De nombreuses associations de santé et médias s’en sont également inquiétées comme nous l’avons rappelé en introduction. Le collectif Parapluie Rouge qui regroupe plusieurs associations de travailleuses et travailleurs du sexe, et Médecin du Monde qui avec d’autres ONG a même demandé publiquement la création d’un fond d’urgence pour les personnes prostituées.
L’idée précise de cette émission consistait donc à relayer ces inquiétudes en soulignant la fragilité, la précarité des TDS en cette période.
Nous ne voyons pas en quoi ni comment vous pouvez considérer que ce sont de « belles histoires ». Ni pourquoi cette émission a pu susciter une telle campagne de votre part, employant des méthodes qui nous semblent pour le moins problématiques.
Nous avons tout à fait consciences des violences et de la criminalité qui frappent parfois les travailleuses du sexe dont l’activité n’est ni encadrée, ni interdite. Nous ne cherchons nullement à les dissimuler. Nous avons consacré récemment une émission à Vanessa Campos (Vanessa Campos, prostituée assassinée), ou aux travailleuses du sexe chinoises qui ont parlé de la dureté de leur condition (Les filles de Belleville).
Votre comparaison avec les livreurs à vélo est intéressante. Comme les prostituées, les livreurs exercent une activité précaire, souvent pénible et peu valorisée socialement. Elle met aussi leur santé en danger. Mais aucune des trois femmes à quelle nous avons donné la parole n’obéit à un algorithme, ni n’est payée quelques centimes de l’heure, ou exploitée parce que sans papier ou mineure. C’est en ce sens que nous pouvons considérer les livreurs comme des « esclaves », quoique le terme soit exagéré, dont le travail sous payé est géré par un outil informatique indéchiffrable au service de sociétés qui en tirent un énorme profit.
La traite des êtres humains, les réseaux mafieux qui l’organisent, ainsi que la détresse des femmes et des hommes contraints par la force ou la menace d’offrir des services sexuels est un autre sujet, proprement révoltant, nous en convenons tout à fait. Nous y avons déjà consacré quelques émissions il y a longtemps (Miranda, prostituée albanaise) mais sommes tout à fait disposé à y consacrer d’autres avec votre aide comme vous le proposez. Et à entendre des personnes qui sont sorties de cet enfer.

Copie de mon message à Sonia KRONLUND, Sandrine TREINER et Sibyle VEIL 
  
Mesdames, 
  
Je m’associe à 200% aux remarques que vous a faites l’association Zéromacho, dont je suis membre. 
  
Présenter la prostitution comme un métier comme un autre, pouvant même procurer du bonheur, est une présentation fallacieuse. Certaines ont pu ou peuvent y trouver leur bonheur.  
  
Mais combien d’autres, beaucoup plus nombreuses, ont subi ou subissent encore la violence et l’exploitation de leurs souteneurs et/ou de leurs clients. 
  
Faire le promotion du livre d’Emma Becker à France Culture m’avait profondément choqué. Peut-être que cette femme y a vécu heureuse, mais pour une femme qui a choisi cela de son plein gré, et y a trouvé son bonheur, combien ont subi cet état de prostituée. Combien voudrait en sortir et ne peuvent pas ? Combien de violences sont exercées dans ce cadre ? 
  
Recevez une prostituée heureuse, peut-être, mais recevez alors 100 ou 1.000 prostituées contraintes et malheureuses pour faire le bon équilibre ! L’équilibre conforme à la réalité. 
  
Non, la prostitution n’est pas un métier, le sexe n’est pas un travail. Voudriez vous que vos sœurs, vos filles, les femmes de votre entourage fassent cette expérience ? Encourageriez vous vos proches à devenir prostituée ? Mais oui, ma fille, prostitue-toi, c’est un beau métier, où on gagne bien sa vie et où on fait de belles rencontres ! Diriez vous cela ? 
Non, et en recevant Mme Emma Becker et d’autres, c’est ce message que vous faites passer aux jeunes femmes. 
  
Rétablissez le juste équilibre et recevez toutes celles pour qui cela a été ou c’est encore un enfer. 
  
Je voudrais conclure en vous disant combien je suis un fidèle auditeur et combien j’apprécie France Culture en particulier et les radios publiques en général, et je vous remercie pour la qualité de vos programmes. Je ne veux pas transformer une erreur en une condamnation générale. Toute ma gratitude pour le travail remarquable que vous faites. 

Personnellement, je veux souligner que la liberté laissée aux hommes de recourir à la prostitution entrave leur capacité à se faire une conception saine de la sexualité et des relations femmes-hommes. Même si je ne veux pas restreindre la liberté des femmes, notamment en fait de prostitution, je trouve très malsain qu’on en fasse la promotion (comme vous le faites), et qu’on ne dise rien de la régression inhumaine dans laquelle sont orientés les hommes. Je suis donc pour la répression des clients, telle que le prévoit la loi française.