Commencée avec la campagne de la Primaire de la droite et du centre lors du dernier trimestre 2016, cette campagne électorale, longue, atypique, ponctuée de rebondissements, d’affaires, de mensonges, aura surtout été marquée par une forte intolérance et une grande agressivité. Le médiateur des antennes de Radio France l’a constaté dans les milliers de messages qu’il a reçus. Ce sont principalement les journalistes qui en font les frais…

Dans les plus de 15 000 messages d’auditeurs reçus depuis octobre dernier, la grande majorité d’entre eux concernaient la politique et le traitement de l’information dans cette campagne présidentielle. Et il faut bien le dire, le médiateur a constaté :

  • D’abord, une grande intolérance,
  • Ensuite, une incompréhension – volontaire ou involontaire – du traitement de l’information,
  • Egalement des réactions parfois irrationnelles avec l’éternelle théorie du complot,
  • Enfin, – et c’est étonnant et grave à la fois – un déni de la démocratie.

Evidemment, il ne faut pas généraliser : tous les citoyens et tous les auditeurs n’ont pas réagi ainsi. Plusieurs d’entre eux nous ont félicités pour la bonne tenue de nos antennes durant cette période complexe et contraignante.

Un rappel à la démocratie

Le reproche le plus fréquemment adressé aux rédactions était de ne pas supporter d’entendre dans le journal de 8 heures, par exemple, un candidat – ou un reportage sur un candidat – qui n’était pas celui que JE soutiens. C’est l’intolérance et la mauvaise foi qui font réagir : « Vous censurez MON candidat. Vous ne le diffusez jamais ». Et là, le médiateur répond par un rappel à un principe fondamental de la démocratie : chacun doit pouvoir s’exprimer que l’on soit ou non d’accord avec ses opinions. Et il ajoute une explication basique sur le fonctionnement de la radio : on ne peut diffuser 11 candidats dans un seul journal. Si celui que vous soutenez n’était pas dans le journal de 8 heures, il était peut-être bien dans celui de 12h30 ou celui de 18h.

A noter qu’à ce petit jeu, ce sont les pro-Mélenchon qui ont gagné. Sur le bureau du médiateur, le dossier « Mélenchon » est le plus épais. Il contient tous les messages critiquant le traitement de l’information sur nos antennes. A se demander si une consigne n’avait pas été passée aux militants pour leur demander de « scruter » en permanence ce que nous diffusions et de réagir immédiatement. La plupart des messages étaient de ce type : « J’ai écouté le journal de 18h de ce dimanche. Evidemment, rien sur le meeting de Jean-Luc Mélenchon ; vous avez préféré ne parler que de celui de Marine Le Pen ». Sauf que dans le journal suivant, celui de 19h, c’était un reportage sur le meeting de Jean-Luc Mélenchon qui était diffusé…

 » Je viens d’écouter, comme chaque soir, le journal de 18 heures. Ce dimanche, deux candidats tenaient, chacun, un meeting: Marine Le Pen à Lille et Jean-Luc Mélenchon à Rennes. Pourquoi dans ce journal évoquer le meeting de Marine Le Pen et ne rien dire de celui de Jean-Luc Mélenchon? » (Martine)

Enfin, on en a beaucoup parlé, nous étions soumis à un contrôle très strict du CSA, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, à propos des temps de parole et des temps d’antenne. Et, à l’issue du 1er tour, le CSA n’a globalement rien trouvé à redire dans le traitement de la campagne sur Radio France.

Trop de Front National ?

Beaucoup d’auditeurs nous ont pourtant écrit que nous diffusions trop de Front National… En fait, ce n’est que du ressenti. Le parti de Marine Le Pen, comme tous les extrêmes, est clivant. Si je ne supporte pas le FN, je ne supporte pas de l’entendre à la radio et j’ai l’impression de n’entendre que lui. J’écris alors au médiateur pour lui demander d’interdire de diffuser ce parti. Un : le médiateur rappelle alors qu’il n’a pas de tels pouvoirs, ni personne d’autres d’ailleurs, hormis le législateur. Deux : le médiateur rappelle une fois encore les principes démocratiques de liberté d’expression.

Dans l’entre deux tours, ce fut un déferlement de critiques, mais au bout du compte rassurantes. Les unes reprochant aux rédactions de faire la part belle à Emmanuel Macron, les autres à Marine Le Pen. On se dit alors que l’équilibre a été plutôt respecté.

Ajoutons pour tous ces protestataires qui n’acceptent pas d’entendre d’autres opinions que les leurs, qui voudraient des radios et des télévisions qui ne diffusent que leur leader, et n’en disent que du bien, cette forme d’ « information » existe. Les vrais journalistes ont alors disparu, de même que la démocratie. Cela s’appelle une dictature.

Le parti pris des journalistes ?

Des auditeurs nous ont signalé quelques exemples de « parti pris » dans des journaux, des commentaires, des reportages ou des émissions. En effet, il est arrivé que certaines phrases, certaines formulations, certaines affirmations puissent laisser paraitre une forme de parti pris. Volontaire ou involontaire… Le médiateur a tout de suite réagi en alertant les responsables de rédaction ou de programmes.

Mais attention, les éditorialistes, les humoristes ont une expression libre. Quant aux journalistes, ils sont accusés de parti pris s’ils démontrent un mensonge, démontent une promesse irréaliste ou révèlent des faits litigieux. Or, ils sont dans leur rôle de contrôle et de vérification, afin que l’information soit exacte. Ce n’est pas du parti pris, c’est une attitude professionnelle pour laquelle les journalistes devraient être soutenus dans l’espoir qu’un jour, à l’image des pays du nord, la politique redevienne respectable et au service de tous.

Des choix journalistiques « orientés » ?

 » Vous vous déchaînez contre le FN avec la plus grande partialité, n’informant pas avec un souci d’équilibre. On monte en épingle un sujet dérisoire (copie d’un discours de Fillon). On interroge les habitants d’Yerres anti-Dupont-Aignan. Chaque jour, on a droit à un reportage sur ce que pensent les électeurs de la France Insoumise » (André)

Le choix des sujets, la construction des journaux ont également fait l’objet de critiques. Là, nous sommes dans le principe de base du journalisme : faire des choix. Nous en faisons en permanence, tout simplement parce que les informations sont trop nombreuses. Il faut donc sélectionner ce qui semble être le plus important dans l’actualité, ce qui peut intéresser le plus grand nombre d’auditeurs, ce qui est le plus enrichissant, le plus original… Tout cela n’étant bien évidemment pas une science exacte. Les rédacteurs en chef, les journalistes peuvent faire des erreurs de jugement ou d’interprétation.

Mais NON, un grand NON, les journalistes ne se mettent pas tous d’accord le matin du 1er mai, par exemple, pour se dire : « On va beaucoup parler des Le Pen pour faire peur aux Français ». Le médiateur a reçu ce type de message qui l’a fait bondir. Encore et toujours cette bonne vieille théorie du complot.

La réalité est simple et professionnelle : le 1er mai, dans l’actualité, il y a, le matin, le rassemblement FN devant la statue de Jeanne d’Arc et, l’après-midi, les défilés syndicaux. Il y avait également les meetings de Marine Le Pen et d’Emmanuel Macron. Pas d’arrière-pensées tordues ; les journalistes ont fait leur travail de journalistes et ont couvert l’actualité.

La toujours présente théorie du complot

Cette théorie du complot, on l’a beaucoup invoqué également avec l’affaire Fillon. « Vous avez voulu « tuer » Fillon», « Vous vous êtes tous mis d’accord pour détruire la droite » ou « Bien sûr, vous avez attendu qu’il soit choisi pour le descendre ». Non ; là encore, les journalistes ont fait leur travail de journaliste. Ils ne se sont pas dit : faisons barrage au candidat Fillon. Alors, pourquoi la presse s’y est-elle beaucoup intéressée ? Tout simplement parce que c’était l’actualité et que de mensonges en révélations, cette affaire a pris l’allure d’un feuilleton inattendu. François Fillon était candidat ; c’était logique de s’intéresser à sa situation. Tout comme les services « investigation » des rédactions se sont penchés sur les autres candidats, notamment Emmanuel Macron, contrairement à ce qui a pu être affirmé par ses opposants…

C’est aussi un honneur pour la démocratie que la presse puisse révéler des pratiques immorales avec de l’argent public, voire illégales (la justice est saisie). Quant au reproche de viser la droite, les militants oublient bien vite les affaires Cahuzac, Thévenoud et, dernièrement, Bruno Le Roux, trois ministres socialistes obligés de démissionner après des révélations de la presse.

« Allez, continuez de déverser sur François Fillon!! Qu’allez-vous trouver pour essayer de l’abattre (mais vous n’y arriverez pas). Vous devriez fouiner dans ses WC, car on lui a offert une cuvette en OR massif!!! Quel homme politique n’a pas eu un cadeau un jour? » (Lucie)

Mais depuis la nuit des temps, certains préfèrent s’en prendre au messager qui transmet une information vérifiée, plutôt qu’aux personnes mises en cause par leur attitude ou leur comportement.

Trop d’agressivités dans les interviews ?

« Vous êtes trop agressifs avec vos invités politiques », « Vous ne les laissez pas répondre », « Vos questions vous semblent souvent plus importantes que les réponses ». Ce n’est pas faux, et le médiateur l’a signalé à toutes les rédactions. Le journaliste n’est pas là pour se mettre en avant, il est là pour obtenir de bonnes réponses. Il est vrai que les hommes politiques savent éluder, retourner la question, noyer la réponse ; mais, comme le signalent des auditeurs, l’agressivité est contre-productive. Il existe d’autres techniques, comme celle de dire calmement : « Donc cette question vous embarrasse et vous ne voulez pas y répondre ».

En revanche, difficile de partager ce reproche : « Vous êtes beaucoup plus insistants et accrocheurs avec les candidats que vous qualifiez d’extrémistes ». En définitive, ce n’est qu’un réflexe professionnel. Les candidats populistes de droite, comme de gauche, pour justement plaire à leurs électeurs, lancent des séries de promesses qui peuvent sembler irréalistes ou démagogiques ; c’est le travail du journaliste d’aller plus loin que les simples promesses électorales afin de savoir comment le candidat compte les financer ou assumer leurs conséquences. D’ailleurs, ce type de questions a été posé à tous les candidats. Le côté « insistant » venait lorsque le candidat ou son soutien éludait la question.

Pour être précis, deux candidats ont refusé beaucoup d’interviews et d’invitations de médias, notamment de France Inter ; ils préféraient s’exprimer sans questions embarrassantes devant leurs militants ou sur les réseaux sociaux. Mais ce n’est plus de l’information, c’est de la propagande.

Bruno DENAES – Médiateur des antennes.