L’affaire Weinstein libère enfin la parole à propos du harcèlement sexuel et du sexisme. Des questions auxquelles nos auditeurs, de même que Radio France, sont très sensibles. Le sexisme et la parité sont deux thèmes qui suscitent régulièrement des réactions ou des remarques auprès du médiateur des antennes.

[Ecoutez Bérénice Ravache, présidente du Comité Diversité de Radio France, au micro du médiateur sur franceinfo]

 

A la demande du Comité diversité de Radio France, nous avons quantifié les messages reçus spécifiquement sur ces questions : 4 sur 10 concernent les propos sexistes et la parité femmes/hommes sur nos antennes. Chiffre qui monte à 6 sur 10 si on y ajoute les messages concernant le sport et la part faite (très faible !) aux sports féminins. On trouve ensuite les messages à propos des « origines », du racisme et de « province-banlieue » (15%), suivis de la misogynie, de l’homophobie et de la transphobie (12%) ; enfin, les messages concernant le handicap et la maladie (10%).

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SEXISME

Tous ces messages – vos messages – sont pour nous très importants, car ils permettent de continuer à faire évoluer la qualité de nos antennes, en interpelant les équipes ou en rappelant des principes de base sur le respect de la diversité, de la parité et, tout simplement, des personnes. Le médiateur n’a pas relevé de situations graves, mais des remarques, des expressions de sexisme ou de machisme « ordinaires ». Et les messages des auditeurs, relayés auprès des directeurs et des équipes d’antennes, permettent de pointer des formules inappropriées, voire choquantes.

  • « Une pincée de sexe» pour qualifier dans vos titres du journal des agressions sexuelles, viols, etc, commis par Weinstein. C’est honteux ». 

  • « Comment votre animateur peut-il s’autoriser à faire un commentaire déplacé sur cette présentatrice de TF1, en suggérant qu’il voudrait la rencontrer pour son physique plus que pour ses qualités professionnelles?». 

  • « Pouvez-vous relayer auprès des journalistes qu’on ne se fait pas violer, mais qu’on est violé? Un viol est une action non consentie. Employer les bons mots sur des sujets de cette gravité me parait essentiel ». 

  • « Comment pouvez-vous vous réjouir que, grâce à la rentrée, « les mamans vont pouvoir écouter mon émission » ? Les mamans, après avoir déposé les enfants à l’école, n’ont bien sûr rien d’autre à faire à part écouter la radio et faire un peu de ménage en attendant que leur mari rentre à la maison». 

  • « Parce que votre invitée travaille beaucoup et qu’elle raconte que son mari fait les courses et la cuisine, vous lui demandez : « Il fait tout à la maison ?». Jamais je ne vous ai entendu poser ce genre de questions sur le partage des tâches à un invité masculin ».

PARITE

Nos auditeurs sont également très sensibles à la parité sur nos antennes. Ils nous signalent lorsqu’ils constatent que le « masculin » l’emporte largement sur le « féminin ». Ou que les femmes sont plus cantonnées dans le témoignage que dans l’expertise : témoignage de « maman », de « femme peu aidée à la maison », de « superwoman », etc. Mais les « experts », les « spécialistes »,  les « chercheurs » sont plutôt masculins.

A ce propos, lors de ses interventions, Anne Sérode, l’ancienne présidente du Comité diversité de Radio France, racontait une anecdote symptomatique de la prédominance masculine chez les « experts » invités sur les antennes. Cette anecdote lui avait été rapportée par une journaliste ; elle voulait inviter une experte sur un sujet économique qu’elle connaissait bien. Cette experte donne son accord. La journaliste lui précise qu’elle évoquera également un autre sujet économique. Et l’experte lui répond : « Désolé, mais sur cet autre sujet, je ne suis pas suffisamment calé ; je préfère ne pas venir ». La journaliste contacte alors UN expert, pas beaucoup plus connaisseur du second sujet, mais qui lui répond : « Bon, on arrivera toujours à dire quelque chose ». Conclusion : de nombreuses expertes ou spécialistes sont très exigeantes avec elles-mêmes et le public.

Signalons que Radio France a contribué à la naissance d’un site spécialisé destiné à faire connaitre aux médias des femmes spécialistes dans de multiples domaines : expertes.fr . Par ailleurs, Mathieu Gallet, le PDG de Radio France s’est engagé cette année à une progression de 5% par an d’ici 2020 de la présence de femmes expertes invitées de nos antennes. En 2016, 28% des experts invités étaient des femmes.

https://expertes.fr/

  • « Pourquoi entendons-nous si peu de femmes ? Ce sont souvent des experts, et souvent les mêmes. N’y a-t-il pas de femmes chercheuses pouvant intervenir sur vos sujets ? ».

  • « Vous diffusez actuellement une émission politique. Trois hommes invités, pas une seule femme. Peut-on imaginer l’inverse : trois femmes invitées et pas un seul homme ? Je ne le crois pas, sauf pour des émissions aux thèmes « typiquement féminins »… Sur la petite enfance, par exemple !!! ».

  • « Dans votre émission, je regrette de n’entendre que des hommes. Dans les 39 dernières émissions, j’ai comptabilisé 7 femmes pour 32 hommes. Ne pourrait-on respecter la parité ? »

SPORT FEMININ

La place du sport féminin et son traitement suscitent également beaucoup de réactions. Une place souvent très faible par rapport à l’écrasante domination du football masculin. Cela s’améliore petit à petit, même s’il reste du chemin à parcourir… 

  • « Dans le journal des sports de ce matin, aucune information sur les rencontres féminines. Pas étonnant que des élèves de 6ème, dans le cadre d’une séance sur l’égalité filles-garçons, me disent que le sport, c’est pour les garçons ! Au XXIème siècle !!! J’aimerais tant que ce message change le traitement du sport au féminin dans les médias ».

  • « Le week-end dernier, l’équipe de France féminine de rugby a battu celle d’Ecosse et vous n’y consacrez même pas une brève, alors qu’elle aurait dû occuper la une avec neuf essais marqués. En revanche, l’équipe masculine avec son score étriqué a fait la une».

  • « Et si, dès que vous parlez sport, vous précisiez « masculin » ou « féminin »? Cela vous permettrait de vous rendre compte à quel point vous éludez le sport féminin ». 

  • « Pourquoi expliquer que la Fed Cup, c’est l’équivalent de la Coupe Davis au féminin? Ferait-on l’inverse ? Cela montre bien que le sport féminin est encore loin de s’imposer ».

MISOGYNIE

Les antennes n’échappent pas à des petites formes de misogynie « ordinaire », dont les journalistes, les animateurs ou les producteurs n’ont pas toujours conscience. Mais nos auditeurs sont vigilants. Il s’agit, par exemple, de l’emploi des prénoms pour parler de femmes (« Ségolène a décidé de… ») ou pour leur parler (« Mais alors vous, Isabelle, que dites-vous de… »). Ce que l’on ne ferait pas avec un homme : « Bruno [Le Maire] estime que… ». Ou de l’âge des femmes comparé à celui de leur mari…

  • « Etait-il de bon goût d’intervenir sur la différence d’âge entre le nouveau président et son épouse? L’auriez-vous fait dans le sens inverse ? A-t-on fait ce genre de commentaire sexiste lors de l’élection de Donald Trump, alors que la différence d’âge est exactement la même ? Mais là, c’est la femme qui est plus jeune. Il faut cesser ce genre de pratique ».

  • « Un de vos journalistes a parlé de Ségolène Royal en employant 4 ou 5 fois uniquement son prénom. Je ne l’ai jamais entendu parler de Martin (Schulz) ou Jean-Claude (Juncker)». 

  • « Les femmes, c’est souvent uniquement par leur prénom qu’on les appelle: « Najat », « Brigitte» ou « Ségolène ». Et pendant les élections américaines, vous parliez d’ « Hillary », mais vous ne disiez pas « Donald ».

Tout cela évolue-t-il ? Bien sûr. A Radio France, nous sommes vraiment attentifs à toutes les remarques pertinentes des auditeurs, notamment sur ces sujets. Le médiateur collabore efficacement avec Sophie Coudreuse, la directrice à l’Egalité des chances. Et il vient d’intégrer le Comité Diversité de Radio France à la demande de sa nouvelle présidente, Bérénice Ravache. Cela permet d’améliorer le relais des messages des auditeurs et de poursuivre la lutte contre des formes de sexisme, de misogynie ou d’absence de parité, pas toujours conscientes. Mais justement, à nous, à vous de continuer à faire évoluer les esprits et les attitudes.

Bruno DENAES.