Emmanuelle Daviet reçoit Nicolas Martin producteur sur France Culture pour sa chronique « Radiographie du coronavirus : le SARS-CoV2 a-t-il muté ? », chronique qui a fait réagir les auditeurs.

Emmanuelle Daviet : Nous évoquons aujourd’hui la chronique que vous avez faite vendredi 25 septembre, intitulée «Le virus a –t-il muté ? » . Cette chronique a fait réagir un certain nombre de vos auditeurs. Ils ont estimé qu’il s’agissait d’une chronique à charge injustifiée contre le Docteur Raoult.
Avant d’en venir précisément à ce reproche, pouvez-vous tout d’abord nous indiquer quel est l’objectif journalistique de votre nouvelle chronique «Radiographie du coronavirus » ?

Nicolas Martin : C’est une prolongation de la chronique quotidienne que je faisais pendant le confinement au printemps, avec une partie de l’équipe, puisque je le rappelle je ne suis pas tout seul à la manœuvre. Heureusement il y a des gens qui travaillent avec moi et qui me permettent de produire cette chronique et de faire de la recherche en amont et derrière. L’objectif c’était simplement de revenir à la science. Le problème depuis le début de cette épidémie, on s’est rendu compte qu’on entendait beaucoup de choses, qu’on écoutait beaucoup de choses, qu’on lisait beaucoup de choses, que ce soit dans les médias ou sur internet qui n’étaient pas sourcées scientifiquement. Que certaines personnes profitaient du fait qu’il y ait parfois un léger manque de culture scientifique chez certains confrères ou chez certaines consœurs, chez certains journalistes en tous cas, pour profiter de cette inculture pour dire des choses qui n’étaient pas tout à fait correctes scientifiquement. Donc ce qu’on a voulu faire avec l’équipe de « La Méthode Scientifique » c’est revenir à la science. Donc retrouver les études, lire les études, essayer de les comprendre, de les expliquer, de faire donc un travail de pédagogie, mais aussi de dire quand parfois il y avait quelques manquements, quelques imprécisions, quelques approximations ou parfois carrément quelques mensonges.

Emmanuelle Daviet : Venons-en maintenant à la chronique de vendredi dernier, des auditeurs se sont dits « troublés par la virulence de vos critiques sur les hypothèses de Didier Raoult » et le fait, je cite : « que vous terminiez votre rubrique sur une insinuation, avec l’évocation des mariages juifs, des Roms, des voyages des Magrébins, comme si le professeur marseillais avait une arrière-pensée raciste. »
Nicolas Martin, quelle était votre intention ? S’agissait-il d’une tribune contre le professeur Raoult ?

Nicolas Martin : Alors à aucun moment il ne s’agit d’une tribune, je n’ai pas d’opinion là-dessus. Mon travail est un travail de journaliste : je prends les faits, je prends les déclarations, ce n’était pas une insinuation, ce que je citais à la fin de la chronique ce sont des déclarations. D’ailleurs j’ai répondu dans une Lettre sur le site de la médiatrice où je donne le lien vers cette interview où Didier Raoult tient ces propos. C’était une façon de dire que ses propos ne sont pas des propos scientifiques, ce sont des propos qui relèvent de l’idéologie, il n’y a pas d’études derrière qui indiquent la réalité de ces liens avec ces communautés religieuses. C’est notre travail, ce n’est pas du tout une tribune contre Didier Raoult. Mon travail, en tant que journaliste, d’ailleurs ce ne sont pas mes opinions, ce dont nous témoignons dans cette Radiographie, c’est de la réalité scientifique : on interroge d’autres chercheurs, des virologues, des infectiologues, des épidémiologistes, on lit la littérature scientifique et on pointe à un endroit le fait qu’il puisse y avoir des approximations, des erreurs, voire de la manipulation dans le discours de Didier Raoult. C’est en fait notre métier de journaliste. Les virologues, les infectiologues que l’on consulte, eux, sont tenus par un devoir de réserve pour la plupart. Même si je rappelle qu’il y a une plainte de l’Ordre des médecins pour méconduite scientifique envers Didier Raoult. Donc notre travail, en tant que journalistes, envers les auditeurs et auditrices, c’est de leur donner des clés pour leur permettre de lire, de comprendre pourquoi à tel endroit, ce discours n’est pas correct, pourquoi à tel endroit ces approximations peuvent être dangereuses ou en tout cas nocives pour le débat public. Et de montrer que le discours général de Didier Raoult, depuis le début, et ce n’est pas moi qui le dit, c’est l’ensemble de la communauté scientifique et des journalistes scientifiques qui analysent aussi son discours, et bien c’est un discours qui a quitté la sphère scientifique pour passer à la sphère politique ou idéologique.

A LIRE LA RÉPONSE DE NICOLAS MARTIN

Emmanuelle Daviet : Votre formation littéraire est parfois avancée par les auditeurs pour accréditer le fait que votre propos scientifique ne serait pas recevable, que leur répondez-vous ?

Nicolas Martin : Je ne crois pas qu’il faille être scientifique pour parler de science ou pour faire de la vulgarisation. Le travail de journalisme ce n’est pas à proprement parler le même travail qu’un scientifique. Par ailleurs, je ne travaille pas seul je travaille avec une équipe dans laquelle il y a des scientifiques. Notamment Alexandra Delbot avec qui je travaille pour préparer ces chroniques, elle est diplômée en biologie cellulaire, en ingénierie biologique. Donc d’une part ce n’est légitime puisque oui, j’ai une formation littéraire mais c’était il y a vingt ans, cela fait cinq ans que je travaille dans les sciences et que je fais un travail à « La Méthode Scientifique ». Cela fait cinq ans que je travaille quotidiennement là-dessus. Par ailleurs, j’avais aussi un tropisme scientifique si tant est qu’il faille que je me défende d’avoir un goût pour les sciences. Et puis surtout, admettons que j’ai une formation scientifique, par exemple en physique des particules : est-ce que je serais légitime pour parler de biologie cellulaire ou est-ce que je serais légitime pour parler d’informatique et d’intelligence artificielle ? Donc cet argument c’est une sorte d’argument de mauvaise foi parce que, non seulement il y a du travail, c’est ensuite l’essence du travail d’un journaliste scientifique de remonter à la source, d’analyser, je ne prétends pas être au niveau des gens qui ont fait trente-cinq ans ou quarante ans de carrière dans un domaine mais notre travail de groupe, et notre travail d’analyse nous permettent en revanche, d’être capable de pointer quand il y a des faiblesses dans le travail de tel ou tel chercheur, ça peut être Didier Raoult aujourd’hui. Je renvoie les auditeurs et auditrices à des émissions que l’on a pu faire sur la méconduite scientifique, sur la crise de reproductibilité, ça ne nous empêche pas d’avoir un travail d’analyse qui me semble pouvoir être pertinent.